NOEL ET LE NOUVEL AN AU BOUT DU MONDE
Cette année, les fêtes sont bien tristes pour nous.
En effet, Greg rentre précipitamment en France pour soutenir moralement son père qui, à une semaine d’intervalle, perd sa compagne Odile et sa sœur Françoise toutes deux atteintes de cancer. Je reste à Ushuaia avec les filles, ma grossesse avancée ne me permettant plus de prendre l’avion.
Heureusement, à cette époque de l’année, un grand nombre de voyageurs convergent à Ushuaia, la ville la plus au sud du monde, pour y passer les fêtes et j’ai donc de la compagnie pendant ces 15 jours de séparation. Certains, comme nous, viennent d’Argentine en longeant la côte Atlantique, d’autres viennent du Chili et parfois même descendent depuis l’Alaska après avoir traversé tout le continent américain.
Le camping « La pista del Andino » est LE haut lieu de rendez-vous pour tous ceux qui voyagent motorisés.
C’est un endroit charmant qui jouit d’une vue magnifique sur la baie et les montagnes environnantes. Tout autour, la forêt est le lieu de cachette idéal des enfants qui passent leurs journées à faire des cabanes dans les arbres et mènent une guerre des clans impitoyable avec les autres petits Argentins.
Raoul et Fernando, les propriétaires du camping rivalisent de gentillesse, surtout auprès des enfants et nous sommes plutôt bien installés même si nous sommes quand même loin du confort des campings européennes (hygiène des salles de bain et de la cuisine plus que douteuse, normes de sécurité très approximatives et douche écossaise assurée tous les matins !!).
Depuis que nous avons traversé en ferry le détroit de Magellan, nous sommes en Terre de Feu et le climat comme le paysage ont radicalement changé.
Quel contraste avec la steppe et la pampa ennuyeuses que nous avons traversées pendant plus de 3 000 km !
Tout commence par une vallée verdoyante où serpentent des dizaines de ruisseaux et rivières qui grouillent de truites pouvant atteindre jusqu’à 15 kg chacune (records américains et canadiens battus !). C’est fou comme la vision du vert peut être apaisante et intrinsèquement indispensable à mon bien-être… Je revis.
Ensuite, nous attaquons l’ascension de la montagne, dès le premier col franchi le temps change brusquement. Le brouillard est tellement épais que nous ne voyons pas à 100 m et découvrons le paysage entre deux éclaircies, tantôt un précipice rocailleux, tantôt une cascade, tantôt quelques fermes aux toits pentus. La forêt est dense, le thermomètre a brusquement chuté légèrement au-dessus de zéro. Le brouillard se transforme en neige fondue. Et dire qu’il y a quelques heures nous étions encore en T-shirt !
Ce mauvais temps accroît encore plus le sentiment d’arriver au bout du monde. Il règne une atmosphère légèrement mystérieuse.
La ville d’Ushuaia est dans la vallée, au bord du canal de Beagle.
Comme pour toutes les villes argentines, l’entrée de ville est moche. Nous traversons le port commercial avec ses containers empilés les uns sur les autres et la zone industrielle. Les maisons sont assez laides et l’ensemble manque d’unité architecturale. Cependant, il faut bien reconnaître que le centre de la ville avec sa fameuse rue San Martin, a un certain charme qui n’est pas sans rappeler celui des stations de ski des Alpes avec ses commerces, ses restaurants et ses boutiques de souvenirs. Ici, on peut trouver tout ce qu’il faut pour le camping en pleine nature, des tentes, des sacs de couchages, des chaussures de randonnées en passant par tous les vêtements techniques de toutes les plus grandes marques internationales possibles et imaginables. La rue grouille de touristes et le port de plaisance est bondé de voiliers européens ainsi que d’impressionnants paquebots de croisière en partance pour l’Antarctique. Nous aussi, nous avons caressé l’idée de nous offrir une croisière de 10 jours pour aller toucher les glaciers et les icebergs mais les prix exorbitants demandés par les tours opérateurs nous ont fait reculer.
Après avoir bien installé sa petite famille au camping, Greg nous quitte et s’envole pour la France. Je ne reste pas seule longtemps. Chaque jour, un nouveau camping-car arrive. Je retrouve tous nos amis rencontrés à la Péninsule Valdès, les Parcé, les Mériguet, les Pouzet et plein d’autres encore.
Nous faisons la connaissance des « Anautica » qui voyagent dans un ENORME camion aménagé Man depuis plus de 5 ans. André, Catherine et leurs deux adolescents Audrey et Titouan ont traversé toute l’Afrique en 3 ans et ont passé 2 ans en Asie. Ils viennent d’arriver sur le continent américain et remontent jusqu’en Alaska comme nous. Nous serons sûrement conduits à nous recroiser plusieurs fois en route pour le plus grand bonheur de Margot et Marie.
Ainsi que la famille Le Sergent qui voyage depuis 2 ans en camping-car avec leurs deux filles, Léa et Chloé.
Bientôt le camping est noir de monde. Les Français se sont regroupés d’un côté voyageant principalement en camping-car ou en fourgons aménagés.
Plus haut, c’est le coin des Allemands avec leurs gros camions aménagés 4 roues motrices, plaques de désensablement, jerricans d’essence supplémentaires sur la galerie, treuil en cas d’enlisement… il ne manque plus que la tourelle d’observation sur ces gros tanks militaires en provenance de l’ancienne RDA. Ils consomment tous 25 litres/100km. Parfois, on se demande quand même si l’on fait le même voyage avec la même philosophie !!
À l’entrée, ce sont les Brésiliens qui se sont installés. Leurs camping-cars ou bus aménagés sont tellement encombrants qu’ils ont dû rester sur le parking ! Ils ont tout le confort possible et imaginable et ne reculent devant rien pour s’installer confortablement même pour quelques jours seulement. Ils montent d’immenses auvents pour doubler leur « surface habitable ». Là, ils installent leurs machines à laver, leurs séchoirs, leur micro-onde et même la table avec les 12 fauteuils et le barbecue portatif ! Même la déco de Noël est soignée avec ballons et guirlandes lumineuses, ce qui les rend plutôt sympathiques…
Finalement, nous sommes près d’une quarantaine de Français pour le réveillon de Noël et la grande question est « Qu’allons-nous faire à dîner ? »
Le choix est plutôt restreint et étonnamment, malgré ses quelques 3 000 km de côtes, l’Argentine n’est pas du tout tournée vers la pêche et les produits de la mer. Impossible de trouver une huître ou un fruit de mer correctes et les poissonneries se font rares.
La mort dans l’âme, nous décidons de faire une immense « crêpe party » ce qui finalement est plutôt une bonne idée qui a l’avantage de plaire aussi bien aux grands qu’aux petits, aux omnivores qu’aux végétariens. Nous raflons les derniers sachets de saumon fumé (congelés !) de Carrefour et préparons plus de 250 crêpes d’avance. Heureusement, le camping met à notre disposition une grande salle commune où nous pouvons tous nous réunir au chaud.
Et nous avons l’immense surprise d’accueillir le Père Noël, le vrai, celui en chair et en os qui est venu directement de l’Antarctique amener plein de cadeaux aux enfants. Eve est au premier rang, bras tendus et essaye d’attraper tous les paquets. Marie est quant à elle très inquiète de savoir ce que le Père Noël lui a apporté et n’en revient pas de le voir « en vrai ». Finalement, tous les enfants seront gâtés et ravis. Ah, sacré Père Noël, décidément, tu n’oublies jamais personne !
Comme toute ville de montagne, le climat est changeant. Nous pouvons passer par les quatre saisons dans la même journée mais en général le temps n’est pas terrible et il pleut beaucoup et il fait froid. Certaines nuits, le baromètre descend légèrement en dessous de zéro et alors nous nous réveillons sous un manteau de neige, pas très épais, certes, mais de la neige quand même (il ne faut pas oublier que nous sommes en plein été ). Les enfants sont ravis même si rapidement tout le camping devient une mer de boue.
Notre configuration Camion + caravane est un vrai plaisir à vivre quand il fait beau mais s’avère fatigante et moins pratique avec du mauvais temps. Je suis crevée à faire des dizaines d’allers et retours entre les deux véhicules pour soit aller cuisiner, soit mettre la table dans la caravane, soit aller chercher quelque chose dans le frigo du camion… Les filles ont envie de faire pipi au milieu du repas, vont se laver les dents, ouvrent et ferment 50 fois les portes laissant échapper la précieuse chaleur, entrent avec leurs gros godillots tous crottés… mais au premier rayon du soleil, tout sèche rapidement et nous déjeunons de nouveau dehors.
Arrive le réveillon du Nouvel An et l’éternelle question « Qu’est ce qu’on fait à dîner ? »
Nous sommes toujours aussi nombreux et cette fois, nous cédons à la tentation de faire un gigantesque « asado » et commandons un demi-mouton, plus bien sûr des saucisses, des salades et plein de financiers (les gâteaux) au dessert. Comme il n’y a pas un seul barbecue assez grand, nous en fabriquons un de fortune à même le sol avec une immense grille de 2m de long façon sommier métallique de vieux lit de camp. Je ne préfère d’ailleurs pas savoir ou Dan, Olivier et Thierry l’ont dénichée. Espérons que les braises ardentes l’auront suffisamment désinfectée…
L’ambiance est chaleureuse, la viande délicieuse et le barbecue se transforme en immense feu de camp quand Olivier prend sa guitare pendant qu’Eric joue au fakir en marchant pieds nus sur la grille rougeoyante du barbecue devant les yeux ébaubis des enfants !
Nous installons une petite sono dans la salle commune où tout le monde danse, Eve au premier rang pleine d’une énergie débordante jusqu’aux 12 coups de minuit puis s’effondre d’un coup sans crier gare à minuit et 2 minutes.
Malgré notre tristesse, nous passons quand même passé de bonnes fêtes de fin d’année au milieu de tous ces voyageurs tous différents les uns des autres. C’est amusant de connaître les motivations de chacun pour cette grande aventure autour du monde, seul ou en famille, pour quelques mois ou plusieurs années. Nous rencontrons tous types de gens, des sympas, des ouverts d’esprits, des curieux, des bons vivants mais aussi ceux qui transportent leurs problèmes avec eux, les sectaires, les pas fun du tout et les pas épicuriens pour un sous…
Nous resterons en contact et ferons peut-être un petit bout de chemin avec certains d’entre eux, ceux avec qui nous avons le plus d’affinités.
Finalement, nous n’avons pas fait grand chose pendant ces deux semaines à part aller visiter l’ancien pénitencier du bout du monde transformé en musée, faire des pauses gourmandes à l’unique boulangerie française et nous bâfrer de croissants et de pains au chocolat gentiment offerts le matin du 31 janvier par Guy avant son départ de plusieurs jours pour le cap Horn.
Le mauvais temps ne nous a même pas permis d’aller nous promener quelques jours dans le parc naturel juste à côté à moins que ce ne soit la flemme de conduire le camion et de défaire toute notre installation qui nous a retenu !
Au lieu de ça, on s’est reposé, on s’est avancé sur le CNED (mais pas trop), on a dégusté l’excellente purée d’aubergines de Marilena en sirotant sa tisane au thym et au miel, tout en regardant Dan décorer son camping-car avec de grosses fleurs d’autocollant multicolores.
On s’est laissé aller, mais parfois ça fait tellement du bien…
Les 15 jours de séparation sont enfin passés et nous décidons tous d’aller chercher Greg à l’aéroport.
L’heure d’arrivée arrive, puis est largement dépassée, nous attendons toujours. Bien sûr, il n’y a aucun panneau, aucune explication, aucun guichet. Et toujours pas de Greg, nous rentrons bredouille au camping et, sous la pluie, décidons de mettre en route le barbecue de bienvenue que nous avons prévu pour lui en espérant que cela le fera venir ainsi que le beau temps.
21 heures, un taxi dépose enfin Greg et il ne pleut plus ! Il a tout de même 8 heures de retard et arrive crevé après avoir terminé les 300 derniers kilomètres de son voyage en bus. Le pauvre, depuis son départ de France, il a accumulé les mésaventures : grève des avions en Espagne, très longue connexion à Buenos Aires, problème technique vers Ushuaia… et bien sûr ses bagages ont été perdus (vêtements et poussette toute neuve pour le bébé, pièces détachées de rechange pour le camion, livres et DVD pour les filles…) ! Vont alors commencer cinq jours de galère et d’appels téléphoniques aussi coûteux qu’inutiles avec le siège de la compagnie aérienne à Buenos Aires. C’est dans des cas comme ceux-ci qu’on se sent vraiment au bout du monde ! Et il pleut toujours…
Notre moral, déjà ébranlé par la séparation, les décès et le mauvais temps en prend encore un coup. On en a marre d’Ushuaia.
Finalement à force de patience et de persuasion, nous récupérons nos bagages et on s’en va. Pas bien loin car, ne voulant pas rester sur une mauvaise impression, nous décidons de visiter tout de même les environs et longeons le canal de Beagle en direction de l’estancia Harberton encore plus au sud s’il se peut. Nous avons bien fait car il fait enfin beau et les paysages sont sublimes et sauvages. Les rivières sont d’une pureté incroyable, la forêt est magnifique avec plein de troncs d’arbres morts parfaits pour l’escalade, les montagnes enneigées en toile de fond sont une pure merveille. On revit. Seul petit bémol, l’incivisme des Argentins qui abandonnent après chaque « asado », leurs vieux sacs-poubelles et les cannettes vides de bière qui polluent le paysage.
L’estancia Harberton est la plus vieille ferme de la Terre de feu, elle ne pratique plus l’élevage mais s’est reconvertie dans le tourisme. Un des héritiers a épousé une scientifique nord américaine qui a bien repris les choses en main.
A l’entrée du domaine, nous découvrons avec plaisir un très agréable musée sur la faune marine de la région. Les filles adorent et font plein d’aquarelle. Elles ont d’ailleurs un déclic et font un grand pas en avant dans la maîtrise de cette technique.
Nous dormons près d’une rivière entourés de vaches qui beuglent toute la nuit et des chevaux. Le paradis. Ça nous remonte le moral et nous sommes de nouveau prêts à reprendre notre voyage en direction maintenant du Chili.
NOUS VOUS SOUHAITONS À TOUS UNE EXCELLENTE
ANNEE 2009 PLEINE DE BONHEUR ET DE RENCONTRES FABULEUSES
Isa
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