Nos amis Français qui nous accompagnent depuis près de 3 mois repartent de Puerto Varas et c’est le cœur gros que nous leur disons au revoir.
C’est toujours un drôle de sentiment de rester les derniers dans un endroit vidé de son ambiance de fête.
Et, le soufflet retombant, certaines questions surgissent. Cela fait plus de deux ans et demi que nous parcourons le monde en famille et depuis notre bref retour en France en septembre dernier, nous n’avons jamais réussi à reprendre notre rythme. Il y eut la cassure du retour inopiné à Paris pour les funérailles de ma tante et de ma belle mère, puis la pause obligée pour l’accouchement.
Les distances faramineuses de ce bout du monde, la monotonie de certaines étapes, les conditions climatiques et le manque d’exotisme ont également pesé sur la perception que nous avons de notre voyage en Amérique du sud.
Aussi les interrogations vont bon train. Que va devenir notre périple avec ce petit bout qui vient de naître et qui va pomper toute l’énergie d’Isa ? Comment gérer les tentions palpables entre les filles aînées qui n’étaient pas coutumières du fait il y a peu ? Devons-nous vraiment partir à l’assaut de pays difficiles comme la Bolivie à ce stade de notre voyage ?
Bref les brainstormings sont quotidiens mais ne produisent rien de vraiment tangible…
Nous décidons donc de garder le cap et de poursuivre la route initialement tracée pour les Amériques.
La première étape en remontant vers Santiago est côtière. Nous nous posons dans la jolie ville de Valdivia et plus précisément nous bivouaquons non loin de là, au pied du fort de Niebla, bastion espagnol pendant la lutte d’indépendance du Chili. La côte est superbe avec ses forêts de pins qui plongent dans les lagunes du Pacifique. Ce qui reste du fort n’a pas beaucoup d’intérêt en soi mais nous nous amusons tout de même à nous vêtir comme au XIXe siècle le temps d’une pause photo. Le décor est planté et le scénario bien ficelé. Je serai un officier chilien offrant en cadeau à sa famille une jeune indienne Mapuche (Margot). Le photographe qui loue ses services est nullissime, les photos à contre-jour, le résultat kitsch au possible mais l’instant amusant.
Peu après nous effectuons un bond dans le temps pour profiter du musée d’art moderne de Valdivia situé en face d’une colonie de lions de mer qui viennent tous les jours se gaver des restes du marché au poisson. C’est assez surréaliste de pouvoir enfin voir ces mastodontes des mers à moins d’un mètre en plein centre-ville alors que nous avions dû parcourir des centaines de kilomètres de pistes pour les observer au téléobjectif dans les parcs naturels argentins !
Après la mer, la montagne (Chili oblige). Nous remontons vers les Andes pour nous rendre dans la région volcanique de Villarrica. C’est une région à forte activité sismique et le volcan crache par son sommet des volutes de fumerolles qui ne semblent pas inquiéter les autochtones. Une incursion dans le parc national nous fait découvrir une miteuse station de ski nichée sur les pentes du volcan et une grotte de lave somptueuse (Las Cuevas Volcanicas) que nous parcourons bouche bée. Coiffés de casques de chantiers peu seyants, nous nous enfonçant dans ce qui fut il y a des milliers d’année un tube créé par une coulée de lave. L’ambiance est spéciale et la roche, riche en minerais, prend d’improbables éclats multicolores sous nos flashs. Le guide s’amuse à éteindre la lumière lorsque nous atteignons la salle cathédrale du fond. Je sens les mains d’Eve qui s’agrippent à mon short comme deux tenailles. Le silence est total et au bout de quelques minutes, on perd l’équilibre. Je comprends alors l’intérêt des casques.
Dans cette région sublime qui ressemble à s’y méprendre aux Alpes, nous sommes agréablement surpris par la qualité de l’architecture des maisons qui sont pour la plupart les résidences secondaires des riches Chiliens. Les propriétés sont belles, bien entretenues et le réseau routier digne de celui de la Suisse. À notre arrivée à Pucón nous avons le sentiment d’arriver à Montreux. Le lac est superbe, la vue sur le volcan imprenable et le centre-ville adorable avec une unité dans l’architecture et le mobilier urbain à dominante de bois.
Depuis notre fourgon, nous profitons d’un signal WI-FI de bonne qualité lorsqu’un homme d’une soixantaine d’années vient à notre rencontre en se présentant dans un français impeccable.
Son visage est un sourire permanent, ses yeux noirs plissés sont quasiment clos et pétillent de malice. Sans plus attendre il nous invite chez lui à quelques kilomètres de la ville.
Sa maison se situe dans un condominium découpé en parcelles d’un demi-hectare qui a su préserver le caractère sauvage de la forêt et de la rivière translucide qui l’abritent.
Ricardo est chilien, ses grands-parents d’origine palestinienne sont arrivés au Chili au début du siècle et sa vie a été placée sous le signe du voyage.
Dans les années 70 il part aux Etats-Unis pour finir peu de temps après en Europe avec sa vielle « Citroneta » des années 60. De là il entreprend un périple hallucinant de plusieurs années.
Route vers le cap nord, passage éclair en France dans les ateliers André Citroën du quai éponyme et direction l’Afrique francophone qu’il traversera pendant 5 ans avec sa dodoche.
C’est là qu’il apprend le français. N’ayant pas un sou en poche, il vit de la publicité qu’il met sur sa 2CV, de différents jobs qu’il s’invente et du sponsoring de Citroën ou de Total avec qui il a créé des liens à Paris.
C’est avec simplicité et fierté qu’il exhume de ses placards des journaux ou des livres qui racontent son histoire unique. Je tombe sur un vieux numéro de « Nuevo Vea », un magazine chilien daté de novembre 1977. Mon œil est d’abord attiré par la couverture qui exhibe une sublime photo de Jacqueline Bisset, dans sa trentaine, en bikini. Mais, plus bas, des lettres géantes titrent « Idi Amin était sur le point de me manger ». Le journaliste qui consacrait deux pleines pages aux aventures d’un Chilien en Afrique avait choisi d’appâter le lecteur avec un titre racoleur relatant les mésaventures de Ricardo. Ce dernier fut en effet emprisonné pendant quelques jours dans les geôles du dictateur ougandais Amin Dada qui avait la fâcheuse réputation d’être cannibale !
Tout cela nous met en appétit et nos soirées se déroulent autour d’une bonne table, un verre de vin à la main, sur fond de Santana ou de Pink Floyd où chacun raconte son histoire ou parle politique.
Je suis un grand nostalgique des années 70, aussi écouter la saga de Ricardo et son analyse de l’époque et des années Alliende ou Pinochet est un vrai régal.
Les jours se suivent et, bercés par l’hospitalité débordante de Ricardo, nous n’arrivons pas à repartir de ce petit paradis.
Isabelle essaye de régler l’allaitement de Maud et cette sédentarisation arrive finalement à point nommé.
Au bout de 5 jours, il nous faut tout de même repartir car Santiago et son lot de démarches administratives concernant le bébé nous attendent.
Notre hôte y sera également et nous nous promettons de nous y retrouver.
Les régions chiliennes ne portent pas de noms mais sont numérotés comme les arrondissements de Paris. Ce long pays insulaire (car à bien y réfléchir le pays est coincé entre un désert aride au nord, les Andes à l’est et le Pacifique à l’ouest et au sud) est donc découpé en tranches. C’est moche mais pratique pour s’y retrouver. Les régions du milieu de cette île sont plus denses et nos étapes plus courtes. Un bref passage à Salto del Laja nous fait découvrir des chutes assez belles mais entourées de baraques à frites et de panneaux Coca qui nous font fuir au bout d’une heure.
En poussant plus loin le long de la ruta 5, Chillán sera une étape en demi-teinte avec son marché typique qui nous plonge vraiment dans une Amérique Latine profonde et exotique. Nous aurons moins de chance avec les musées qui sont fermés pour cause de réfection des fresques mexicaines des années 30 qu’ils renferment.
Le dernier arrêt avant la capitale se fait dans le domaine Viu Manent le long de la route des vins de la vallée de Colchagua. Sur les conseils de nos amis français, nous nous invitons dans la propriété viticole. Le site est splendissime, coincé entre des chaînes de basses montagnes. Les coteaux sont plantés des meilleurs cépages (Cabernet, Sauvignon, Chiraz, Malbec), mais on y trouve également des oliviers, des figuiers et des rosiers censés attirer les pucerons ou autres bestioles nuisibles à la vigne. Don Rodrigo, le propriétaire du haras, se présente à nous le soir de notre arrivée et en un coup de fil au « dueño » des lieux, Don Mauricio, nous sommes accueillis et plantons notre véhicule au milieu de vignes qui sont en pleine ébullition en cette période de vendanges.
Les corps de bâtiments sont superbes et tout est mis en valeur de manière raffinée pour promouvoir le vin qui est produit. Le restaurant d’été est à notre goût un peu surfait, et certaines « lignes » de bouteilles (la « secreto » notamment) un peu trop « marketing » mais au final, nous passerons deux jours extraordinaires et reposants. Les filles feront une grande balade à cheval dans le vignoble avec Don Rodrigo en personne, ancien champion du Chili de saut d’obstacles. Et le lendemain nous enchaînerons la visite du splendide musée de Colchagua à Santa Cruz et celle de l’exploitation vinicole avec dégustation à la clef.
La chaleur méditerranéenne et les 14° de moyenne des bouteilles de vin auront raison de nous et nous décidons de repartir dès le lendemain vers Santiago.
Plus nous remontons vers le nord et plus nous reprenons goût à notre voyage. Le Chili se dévoile peu à peu à nos yeux et nous allons de surprise en surprise. Bien sûr nos nerfs sont parfois à fleur de peau avec le nouvel équilibre familial qui doit s’instaurer mais tout cela est bien normal.
Côté logistique Isa dort (ou plutôt essaye de dormir) avec Maud dans le camion. Pour ma part je dors plutôt pas mal dans la caravane en compagnie des trois grandes.
Pour le bain du bébé nous avons acheté une baignoire gonflable qui rentre au millimètre dans le bac à douche. Le seul hic est que notre chauffage au gasoil est cassé depuis Ushuaia et qu’il faut faire bouillir quelques casseroles d’eau chaude car le plus souvent nous ne sommes pas connectés à l’électricité.
Pour les grandes étapes, nous laissons Maud dormir sur le lit arrière du camion où Isa la rejoint pour essayer d’en faire autant. Sinon elle passe de bras en bras sous l’œil bienveillant des policiers chiliens qui ont manifestement d’autres préoccupations. Il est vrai que depuis l’Inde, nous avons grandement relativisé les notions de sécurité qu’on nous impose en Europe. Je suppose que les choses changeront aux Etats-Unis…
Côté CNED les choses n’ont pas beaucoup changé et, quand Isa s’occupe du bébé, Eve s’installe au bureau avec nous, dessine ou fait des devoirs inventés par ses sœurs.
Bref, Maud est vraiment facile et son arrivée n’a finalement pas modifié notre manière de voyager. Pourvu que ça dure…
Greg
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