Nous quittons Santiago armé du passeport de Maud, précieux sésame qui nous permet enfin de sortir du Chili. La route qui part de la capitale vers les Andes est faite de larges lacets en pente douce le long desquels nous somnolons pendant des heures.
Soudain, la pente se fait plus raide et un col gigantesque se dresse devant nous, c’est le « paso de
la Cumbre
», à plus de 3800 mètres d’altitude, qu’il va falloir franchir pour repasser en Argentine.
L’ascension est incroyable. C’est l’axe le plus emprunté pour croiser les Andes entre le Chili et l’Argentine et nous gravissons la montagne au milieu des innombrables camions qui assurent la liaison entre les deux pays.
Les tournants sont tellement serrés que le cortège de véhicules ressemble à un énorme serpent qui glisse le long des flancs rocailleux.
Après l’ascension, la route nous conduit dans le tunnel lugubre du Cristo Redentor qui nous permet enfin d’arriver en Argentine.
Nous roulons ensuite sur des dizaines de kilomètres sans pour autant croiser de poste frontière. En effet, les douanes argentines et chiliennes sont combinées en territoire chilien et nous passerons donc administrativement la frontière un peu plus en aval. En attendant nous profitons des paysages somptueux de ce no man’s land et nous nous arrêtons dans le parc national du Cerro Aconcagua.
C’est le plus haut sommet du continent avec ses presque 7 000 mètres de hauteur.
Nous sommes à 3 500 mètres d’altitude, la végétation est rase, notre souffle est court, l’air est sec et nous avons en ligne de mire un colosse dont la cime est à peine enneigée.
La nuit commence à tomber et nous décidons de passer le poste frontière avant de bivouaquer.
Le douanier chilien tamponne machinalement nos passeports lorsqu’il arrive à celui de Maud qui ne comporte pas de tampon d’entrée dans son pays. Ses yeux pétillent à l’idée d’avoir démasqué une clandestine.
- « Quand est-elle rentrée dans le pays ? »
- « Il y a presque 3 mois, en même temps que nous. »
- « Pourquoi n’a-t-elle pas de tampon d’entrée ? »
- « Parce qu’elle n’avait pas encore de passeport. »
- « Alors comment a-t-elle fait pour entrer au Chili ? »
- « Elle l’a fait de manière intra-utérine ! »
Au bout de cinq minutes, le douanier chilien comprend enfin la situation et nous laisse passer au bureau de son homologue argentin à deux mètres de là.
Le douanier argentin, lui aussi, tamponne machinalement nos passeports lorsqu’il arrive à celui de Maud qui ne comporte pas de tampon de sortie du Chili. Et rebelote, ses yeux s’illuminent.
- « Pourquoi n’a-t-elle pas de tampon de sortie du Chili ? »
- « Parce qu’elle n’a pas eu de tampon d’entrée et que votre collègue chilien a préféré ne pas enregistrer sa sortie. »
- « Pourquoi n’a-t-elle pas eu de tampon d’entrée ? »
- « Parce qu’elle n’avait pas encore de passeport. »
- « Alors comment a-t-elle fait pour entrer au Chili ? »
- « Elle l’a fait de manière intra-utérine ! »
Le douanier argentin est encore moins vif que son voisin chilien mais il finit par comprendre la situation et nous laisse finalement passer.
Nous sortons du hangar qui sert de douanes après s’être fait saisir nos légumes et autres fruits frais. Tant pis on mangera des pâtes…
Nous arrivons donc de nuit au Puente del Inca, un pont naturel qui enjambe une petite rivière et que nous découvrirons le lendemain au lever du soleil. Le site est truffé d’étales d’artisanat de mauvaise qualité. À peine le petit-déjeuner avalé, nous reprenons la route pour Mendoza.
Toujours en compagnie de la famille Parcé, nous filons le long de la route 7 qui descend des Andes vers la capitale du vin argentin. Les paysages sont désertiques et sublimes et nous nous arrêtons tous les 100 mètres pour les mitrailler.
Mendoza est une commune pleine de charme qui nous réconcilie avec les villes argentines qui, à part Buenos Aires, nous avaient déplu. Une ambiance méridionale se dégage des places arborées décorées de faïence, des ruelles piétonnes, des terrasses de café et de la végétation épiphyte qui colonise les palmiers géants. Nous y passerons deux jours agréables et profiterons de son artisanat en cuir et de son vin.
Pour rallier Córdoba, notre prochaine étape, nous faisons un crochet par le sanctuaire de
la Difunta Correa
, le Lourdes argentin. La légende dit que cette femme est morte de soif dans le désert mais que son nouveau-né a réussi à survivre en buvant le lait que son sein continuait de produire trois jours après sa mort. C’est donc dans cet endroit hallucinant, poussiéreux et kitsch que nous découvrons la signification des milliers de petits autels rouges jonchés de bouteilles d’eau en plastique que nous avons vus le long des routes d’Argentine.
Les pèlerins gravissent les marches de ce mausolée à genoux et viennent supplier la défunte pour qu’elle exauce leurs vœux.
Le sanctuaire est décoré de milliers de plaques d’immatriculation de conducteurs argentins qui se placent sous la protection de la patronne des routiers. Vu comment les Argentins conduisent, ils ont bien besoin de cela.
Nous laissons ce joyeux cirque coloré qui n’est pas reconnu par le Vatican pour découvrir à quelques kilomètres de là, des zones de plaines arides dont l’habitat est d’une simplicité et d’une pauvreté qui nous étaient encore inconnues dans cette région du monde.
Plus nous faisons route vers le nord-ouest de l’Argentine plus la beauté des paysages s’amplifie. Nous traversons les parcs naturels au fil des kilomètres :
la Sierra
de las Quiradas qui nous rappelle étrangement les paysages de l’Ouest australien puis
la Quebrada
del Condorito avec ses graminées, ses chardons mais point de condors...
Arrivés dans les plaines nous faisons halte à Alta Gracia, une petite bourgade assez paradoxale
puisqu’elle est le siège d’une splendide mission jésuite mais également du musée du Che Guevara.
Le petit Ernesto souffrant d’un asthme sévère, ce musée est en fait l’ancienne maison des Guevara qui avait déménagé à Alta Gracia, réputée pour son climat.
La visite est émouvante et on comprend mieux le parcours de cet intellectuel, médecin de formation , féru de philosophie qui a passé sa courte vie à exporter ses visions révolutionnaires.
Entre les vestiges d’une évangélisation musclée et ceux d’une lutte communiste acharnée, nous perdons nos repères ! Nous décidons de reprendre la route vers Córdoba où nous avons rendez-vous avec les « 14 pattes », une famille de voyageurs avec 3 enfants que nous avions contactée lors de notre passage en Inde et que nous espérions retrouver un jour ou l’autre sur les routes.
la Cumbre
pour reprendre un camping-refuge qui sert de camp de base aux parapentistes qui viennent voler dans la région.
La rencontre est chaleureuse et nous passons plusieurs jours en leur compagnie ainsi que celle des « Ayabombé » (encore une famille française sur les routes avec leur 4 enfants !).
Quinze enfants qui jouent toute la journée, du vin chaud, un asado pantagruélique, un bœuf bourguignon comme à la maison, un coucher de soleil du haut de la falaise d’où partent les parapentes, bref le temps passe et nous n’avons plus envie de bouger.
Du coup, nous ne visiterons pas Córdoba et reprendrons directement la route vers le nord pour retrouver les Mériguet qui nous ont quitté depuis 2 mois.
Une petite pause à Monteros nous permet de fêter dignement l’anniversaire d’Isa au Club de los Socios l’unique restaurant de la ville. Ambiance…
Le nord de l’Argentine se dévoile peu à peu à nous et semble très prometteur tant au niveau des paysages qu’à celui de son patrimoine culturel qui faisait défaut dans le sud du pays.
Le dépaysement arrive à grands pas et nous avons hâte de nous y plonger.
Greg
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