Ca y est nous commençons l’ascension vers le Paso de Jama, col le plus au nord de l’Argentine pour rejoindre le Chili.
La route sera asphaltée jusqu’à San Pedro de Atacama, notre destination finale. Nous montons en pente douce en croisant ça et là des troupeaux de lamas qui broutent on ne sait quoi au milieu de la rocaille. Seuls quelques cactus accrochés on se sait comment à la roche donnent une touche végétale à ces paysages de pierres.
Les lacets s’enchaînent les uns après les autres et nous montons inexorablement. Nous n’avons pas d’altimètre, aussi, Olivier qui nous précède nous indique l’altitude avec ses doigts pas la fenêtre de son véhicule : 3 000, 3 500, 4 000 mètres, nous montons toujours. Les vigognes prennent peu à peu la place des lamas et les touffes d’herbe jaune celle des cactus.
Enfin nous croisons le poste frontière, mais seulement pour sortir d’Argentine car l’entrée au Chili se fera 180 km plus loin à San Pedro de Atacama directement en arrivant dans la ville.
A cette altitude l’air est vif, le soleil mordant et les véhicules sont moins réactifs.
A quelques kilomètres du poste frontière c’est la ligne de démarcation entre les deux pays que nous traversons à 4 200 mètres d’altitude. C’est alors notre record d’altitude et nous sommes tout fiers de cet exploit. C’est sans compter sur la suite de la route qui, après être redescendue, remonte à plus de 4 500 mètres pour ne pas les quitter sur près de 120 km. Rien sur les cartes routières n’indiquait ce détail topographique ! Le fourgon commence à montrer des signes de faiblesse dans les côtes mais la mécanique se comporte bien et l’engin ne chauffe pas trop.
Puis, alors même que nous pensons enfin redescendre dans la vallée de San Pedro, un dernier petit col à 4 800 km en guise de bouquet final nous fait rétrograder en seconde sur des kilomètres. Les presque 4 tonnes du fourgon alliées à la tonne de la caravane rendent l’ascension éprouvante pour le moteur et pour nos nerfs. Mais quelle beauté ! Le ciel est d’un bleu pur, les montagnes sont couleur sable, rouge ou bronze, les lagunes turquoises sont blanchies par la gelée.
Finalement nous passons et entamons la descente vertigineuse qui nous fera perdre plus de 2 000 mètres de dénivelé en une trentaine de kilomètres à peine. Le plus incroyable, et qui d’ailleurs illustre le gigantisme des Andes, est que la descente se fait pratiquement en ligne droite sur les 25 derniers kilomètres vers la ville ! Après le moteur, se sont les freins qui vont chauffer…
San Pedro de Atacama nous accueille à la nuit tombée. Nous décidons d’explorer un peu la ville à pied pour trouver le lieu de notre bivouac. L’atmosphère est paisible, les ruelles en terre battue sont étroites, les murs en adobe ocre abritent des restaurants ou des bars éclairés de lampions et chauffés de feux de bois, nous sommes sous le charme. Après quelques minutes de marche nous tombons nez à nez avec nos amis les Parcé qui sont installés au camping du centre ville depuis quelques jours. Nous nous y rendons sur le champ.
Le lendemain, la ville toujours aussi attrayante, nous dévoile son autre réalité : le tourisme de masse. Pour trouver un Chilien dans la rue il faut bien chercher. Nous avons beau être en saison morte, ça parle anglais, allemand, français ou chinois à tous les coins de rues.
Les prochains jours que nous passerons dans la région nous ferons comprendre l’intérêt touristique de ce site hors du commun.
Sans attendre nous organisons une balade à cheval de deux heures dans les environs de la ville. A trente-sept ans, c’est la première fois que je monte sur ce genre de bête mais le cheval qu’on me choisit a du faire une cure de valium la veille et tout se passe hyper lentement et en douceur.
En se promenant aux alentours de la ville on comprend mieux qu’elle est bâtie le long d’un oasis en plein milieu d’un désert. On comprend également qu’elle surfe sur une vague touristique sans précédent et les projets d’hôtels (plutôt de bon goût d’ailleurs) poussent comme des cactus.
Les jours passent, nous prenons nos habitudes de quartier, notre QG est un restaurant tenu par Michel, un chef Toulousain truculent qui a quitté la France il y a 30 ans et qui s’est installé au Chili depuis une quinzaine d’année. On y boit des mojitos au rhum brun et au basilic assez surprenants. Mais il faut avancer et ne pas se laisser bercer par cette ambiance indolente. De toute façon le vent se lève et la ville devient peu à peu invivable tellement la poussière l’envahit.
Nous quittons l’endroit pour essayer de nous réfugier au fond d’une gorge abritée où nous pensons passer la nuit. La route qui nous y conduit est balayée par une tempête de sable, la première de notre voyage. En fin de compte la quebrada est fermée la nuit et nous devons rebrousser chemin. Qu’à cela ne tienne, nous partons à l’assaut du salar de San Pedro de Atacama auquel nous pensons accéder par une piste. Le sable est mou mais les Mériguet qui nous précèdent avec leur gros camping-car à roues jumelées avancent sans encombre. Nous tirons bien sûr la caravane mais avec nos quatre roues motrices nous filons également à vive allure vers le cœur du désert de sel. Après quelques kilomètres, une petite butte me contraint à ralentir et… c’est l’enlisement. Cette fichue roulote a la flèche enfoncée dans le sable et le fourgon s’enlise sans pouvoir l’en extirper.
Bref, nous voilà plantés. La caravane est impossible à désatteler et le vent en bourrasques nous envoie des pelletées de sable en pleine figure. Heureusement que notre ami Olivier a la bonne idée de rebrousser chemin et que sur le chemin du retour il vient nous aider.
Nous ne serons pas trop de deux pour décrocher la caravane et lui faire faire un demi-tour pour la remettre dans la bonne direction. Après quelques coups de pelles, le fourgon s’extirpera tout seul de son trou.
Je suis furieux contre moi-même car j’avais déjà fait l’expérience malheureuse en Australie qu’il ne fallait pas de caravane dans le désert (un comble tout de même…)
Nos voisins de camping s’amusent en nous voyant rentrer en fin d’après-midi, l’air dépité par une journée désastreuse, les vêtements et le visage recouverts de poussière rouge. Une bonne douche suivie d’une bonne nuit de sommeil et notre moral est remonté à bloc le lendemain.
Puisqu’il y a du sable et bien nous allons surfer sur les dunes dans la vallée de la Muerte.
Malgré son nom, l’endroit est plutôt sympathique et nous arrivons sans problème au pied des dunes de sable géantes.
Nous aurons même l’honneur de désensabler un couple de Brésiliens qui nous a pris pour des pros de la chose. S’ils savaient…
L’expérience est incroyable et les enfants s’en donnent à cœur joie. Sans discontinuer ils montent et dévalent sur leurs surfs en bois les pentes de sable. A 2 500 mètres d’altitude, ils dépensent une énergie colossale à remonter les dunes qui se dérobent sous leurs pieds à chaque pas. En fin d’après-midi ce sont littéralement des paquets de sables ambulants que nous récupérons, fourbus, mais heureux de l’expérience.
Pour s’en remettre nous visitons la vallée de la Luna au coucher du soleil. On se contentera de traverser ce spectacle géologique dans nos véhicules car aucun d’entre nous n’a encore envie de crapahuter dans les pentes sableuses et venteuses.
Puis, sur un coup de tête, nous décidons de faire route en début de soirée vers les geysers del Tatio à quelques 100 km de là.
Comme notre chauffage gasoil est cassé depuis Ushuaia, nous sommes contraints de dormir aux alentours de 3 500 mètres pour ne pas souffrir de températures trop basses dans le fourgon. La nuit tombée nous nous arrêtons donc en pleine montagne à quelques 60 kilomètres de notre destination.
Levés à 4h30 du matin, nous prenons la route pour arriver aux geysers au levé du soleil.
L’ambiance est magique. Il est 6h, le soleil commence à poindre, il fait -10°, des fumerolles s’échappent de dizaines de trous qui sortent d’un petit plateau coincé entre les montagnes à quelques kilomètres seulement de la Bolivie.
Les innombrables cars de touristes quittent les lieux vers 8 heures et nous avons le site pour nous tout seuls sous une lumière encore plus belle qu’à notre arrivée.
En repartant sur San Pedro de Atacama nous aurons le privilège de croiser un vizquacha, sorte de lapin-kangourou des Andes.
Le soir, nous fêtons les retrouvailles avec les Parcé qui rentrent d’une excursion de 4 jours dans le sud Lipez en Bolivie où nous nous rendrons dès le lendemain.
Michel nous assomme une fois de plus de ses vins chiliens et autres piscos sours.
Couchés bien « fatigués » à 3 heures 30, le réveil pour le sud Lipez est difficile et la remontée en Bolivie encore plus. Le mal des montagnes nous prend et les 2 000 mètres de dénivelé en une demi-heure nous rendent « pâteux ». Nous avons mal au cœur, une barre semble enfoncée dans notre crâne et nous respirons mal. Curieusement, la seule qui semble en pleine forme est Maud, qui malgré ses 3 mois n’a jamais exprimé quoi que ce soit lors de ces changements d’altitude.
Au poste frontière avec la Bolivie, nous faisons une petite pause et Isa nous prépare une décoction de feuilles de coca censée calmer nos maux.
C’est aussi le moment de faire nos adieux à Caroline et Olivier, un couple de jeunes français que nous avons montés à la frontière depuis San Pedro de Atacama et qui effectuent un périple sud-nord le long des Andes depuis la Terre de Feu jusqu’au Pérou.
Leur aventure force l’admiration mais, par ce froid et ce vent, pour rien au monde je ne les envie !
Les douaniers sont petits, trapus, leur peau cuivrée est burinée par le soleil et l’altitude et ils exercent un commerce parallèle de bureau de change : bienvenue en Bolivie !
Le parc national nous accueille en pente douce, et les formalités d’entrée réglées, nous partons à l’assaut de ces merveilles.
En arrivant à la Laguna Verde, nous croisons un extra terrestre. Un jeune Suisse rentre en courant (nous sommes à 4 500 mètres) d’une expédition sur le Volcan Licancabur (plus de 6 000 mètres) qu’il a escaladé ce matin vers 3 heures !
Puis ce sera la Laguna Blanca, le désert de Dali etc…
Nous allons de merveille en merveille et ces paysages sont, avec la région du Kimberley en Australie, les plus beaux que nous ayons vus jusqu’à présent.
La nuit commence à tomber nous rejoignons la Laguna Colorada où nous allons passer la nuit.
Compte-tenu de l’état des routes, nous avons laissé la caravane dans la vallée et sommes montés avec le fourgon uniquement. Margot et Marie dormirons bien confortablement dans le camping-car des Mériguet pendant qu’Isa, Eve, Maud et moi nous entasserons dans le fourgon.
Le chauffage étant défectueux, nous serons contraints de faire tourner le générateur électrique pour alimenter un chauffage d’appoint.
Cela fonctionne et malgré les -15° extérieurs nous nous couchons par 15° degrés dans l’habitacle. Puis la température extérieure chute à -25° et vers 1 heure du matin, je dois sortir pour remplir à nouveau le générateur.
Je sors, mes doigts sont congelés et j’ai un mal fou à déverser le jerrycan dans le réservoir du générateur. Même sans lune, le paysage est étrangement lumineux ce qui me facilite la tâche.
Une fois terminé, je m’engouffre vite sous la couette pour être réveillé 2 heures plus tard par le froid. Isa a fait une fausse manipulation et a éteint sans s’en rendre compte le chauffage électrique. Il fait -1° dans le fourgon et tous les tuyaux d’eau ont gelé !!!
Nous ne récupérerons jamais les précieux degrés perdus et le réveil se fera en fraîcheur avec en ligne d’horizon, la Laguna Colorada peuplée de flamands en tout genre.
A 4 300 mètres d’altitude et par cette température, comment font-ils donc pour survivre ?
A en juger le nombre d’œufs ou de cadavres d’oiseaux sur les rives du lac, le taux de mortalité doit être extraordinairement élevé dans la colonie.
Il est temps de refaire la route en sens inverse et de repasser par les endroits sublimes que nous avions traversés la veille.
Un petit détour par les geysers nous permet de voir le côté bolivien de ceux del Tatio au Chili. L’ambiance y est radicalement différente. Tout d’abord, pas un touriste à l’horizon tant l’accès est difficile. Les cratères sont moins nombreux mais beaucoup plus grands et colorés.
Nous déambulons avec nos amis Olivier et Stéphanie au milieu des geysers pendant que les enfants restent cloitrés dans les véhicules, un peu blasés par toutes ces images de paysages qu’ils enregistrent depuis des jours.
Nous sommes à 4 924 mètres, notre record, et Olivier arrive vraiment aux limites de son camping-car qui rendrait pourtant jaloux plus d’un amateur de tout-terrain. Nous rejoignons finalement la piste principale qui nous ramène à la frontière.
Pour nous cela marque la fin de trois ans de découverte car l’heure du retour vers Buenos Aires a sonné. Quelle chance avons-nous eue de pouvoir finir par cet endroit du monde qui ne ressemble à rien de ce que connaissions et qui restera l’un des plus beaux moments de notre périple.
Nous allons redescendre vers San Pedro, faire nos adieux aux Meriguet puis reprendre la route vers Buenos Aires non sans faire une halte chez Luc à Salta pour préparer notre départ vers la France.
Nous avons le cœur gros et la tête pleine de souvenirs mais il est temps de rentrer à en juger le calendrier de l’Avent (départ) que les filles ont fabriqué et qu’elles cochent assidûment tous les matins en se réveillant…
Greg
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