Téhéran, le 5 janvier 2007
Nous sommes restés en Turquie plus d’un mois et demi et notre progression fut très lente tant le pays nous plu.
Tout ici est source de ravissement. Le pays est, comme nous l’attendions, le centre du choc entre les cultures occidentales et orientales, ce qui indéniablement en fait sa richesse première.
C’est en effet ici que nous trouvons les plus beaux restes des citées grecques ou romaines mais également les plus impressionnantes traces de l’empire ottoman ainsi que de somptueux vestiges du christianisme.
Au-delà de l’héritage antique, l’histoire contemporaine est également représentée au travers des innombrables portraits d’Ataturk qui nous rappellent que la Turquie est paradoxalement un état jeune.
Ataturk c’est le général de Gaulle et Napoléon réunis, qui, d’une main de fer a su réformer la Turquie pour en fixer ses frontières, en édicter ses lois, adopter l’alphabet latin et par dessus tout ériger le principe de laïcité malgré l’omniprésence de l’Islam.
Nous avons déjà traversé 12 pays et le Turquie est de loin celui où nous avons fait les plus belles rencontres.
Il est en effet impossible de ne pas tisser de liens avec la population locale qui fait preuve d’une gentillesse infinie et d’une envie de contact rare.
Que ce soit dans les grandes villes ou dans les petits villages, pas une seconde sans être accostés ou couverts de cadeaux de la part de gens qui n’attendent rien en retour si ce n’est le plaisir de faire plaisir.
A Istanbul ce sont des inconnus dans le métro qui jouent avec Eve pendant des heures pour la faire patienter. A Safranbolu (petit village ottoman en Anatolie), ce sont des pompiers qui nous accueillent pendant 3 jours dans leur caserne pour nous fournir l’électricité et l’eau dont nous avons besoin.
A Amasra (petit village de pêche au bord de la mer Noire), la municipalité nous autorise à rester cinq jours sur le port et nous tire même un câble pour nous raccorder.
Là-bas nous faisons la connaissance d’Emin, patron pêcheur de quarante ans, célibataire et sans enfant, qui s’occupe gentiment de nous, m’invite à sortir en mer sur son bateau la nuit et me prépare au retour des grillades de poisons frais en brûlant quelques cagettes arrosées de dix litres de kérosène !
Nous parlons du monde, de nos différences en buvant des bières. L’Islam cool…
Emin est un bel homme charismatique, le nez long et crochu comme un bec d’aigle avec un regard clair et perçant. C’est également un vétéran de la guerre en Irak en 1991 qui a beaucoup voyagé pendant son service militaire. Sa manière de raconter ses missions humanitaires en Somalie est très touchante et nous percevons comment cet homme, qui se réfugie dans l’alcool et les cigarettes, a été brisé par ce qu’il a fait sous les drapeaux.
Nous le quittons le cœur serré avec l’envie de ne pas le laisser mais c’est ainsi…
Peu après, par l’intermédiaire de jeunes française expatriées à Istanbul avec qui nous passons deux jours des plus agréables, c’est Goran, un vieux chamelier franco-italien que nous retrouvons dans la montagne non loin du détroit des Dardanelles.
Nous partons en début d’après-midi pour la péninsule de Gallipoli à 4 heures de route d’Istanbul.
Après avoir roulé dans le brouillard et l’obscurité sur une route digne du « Camel Trophy » (pour aller voir un chamelier c’est de circonstance), nous arrivons enfin à son campement.
L’ambiance est indescriptible. Du brouillard, de la boue, le froid, l’humidité et pour seul abri une roulotte, sans âge, bâchée et chauffée par un vieux poêle à bois.
Après plus de quinze ans à sillonner l’Asie entre l’Inde et la Turquie avec ses deux chameaux, ses chèvres, ses poules et sa meute de chiens, Goran ressemble plus à un Afghan des montagnes qu’à un de nos concitoyens.
La soirée avec lui et sa compagne australienne, fille de junkies babacools, est surréaliste.
Il fait noir, un jeune chien passé sous une voiture est assis près du poêle et attend sans gémir les cataplasmes d’argile sensés guérir ses multiples fractures ouvertes.
Goran est un homme hors du commun et nous buvons chacune de ses histoires avec délectation.
Cependant, on décèle chez lui une certaine lassitude de cette vie de nomade. L’homme est fatigué de son voyage sans fin et sans but si ce n’est la liberté absolue et l’harmonie avec la nature.
Mais finalement, de son propre aveu, son mode de vie est une chimère et sa recherche de liberté un emprisonnement.
Il nous dit que ce que nous vivons en famille est en fin de compte la forme moderne d’un nomadisme choisi, sans perdre ses racines.
Nous le quittons, stressé et vidé de son énergie à l’approche d’une nouvelle étape puisqu’il est chassé de l’endroit où il séjourne par le maire du village.
Arrivés à Konya, c’est un visage de l’Islam plus radical qui nous attend. Konya est le fief des derviches tourneurs, les religieux qui tournent sur eux-mêmes pendant des heures au son d’une musique sacrée assez envoûtante. Les femmes y sont beaucoup plus voilées qu’à Istanbul ou encore à Izmir, villes qui ressemblent plus à des mégalopoles occidentales.
Nous avons la chance d’arriver au moment de la célébration de Mevlâna, le père fondateur des derviches et nous assistons à l’une de leurs cérémonies.
Il faut décidemment une bonne dose de foi pour défier le vertige et tournoyer ainsi à un rythme incroyablement régulier tout en priant.
Marie et Margot ont le privilège d’être invitées back stage et d’être photographiées avec eux.
Notre arrivée à Konya n’a pas été de tout repos puisque la flèche de la caravane déjà réparée à Bergame s’est tout simplement brisée en deux.
Nous trouvons refuge non loin d’un entrepôt de gaz dont le directeur en personne s’enquiert de nos problèmes et nous met en relations avec des artisans soudeurs qui changent intégralement la flèche en la reproduisant à l’identique avec des cornières de bâtiment deux fois plus épaisses en trois heures chrono (peinture comprise).
Du jamais vu. La Turquie est décidemment un pays de service.
Le soir de notre arrivée nous nous lions avec Abit, un jeune kurde de vingt deux ans, avide de rencontres et qui nous fait visiter la ville pendant plusieurs jours.
Il est étudiant en informatique et s’est mis par lui-même à apprendre l’anglais.
Son rapport à la religion nous surprend car quelque soit son emploi du temps (plutôt chargé à nos côtés), il prie cinq fois par jour sans oublier les ablutions qui vont avec. Par –2 degrés, il faut là aussi une bonne dose de foi pour remettre ses pieds mouillés dans ses chaussettes.
Je m’interroge sur la rigidité de cette pratique car finalement la spiritualité peut s’exprimer intérieurement à tout instant.
Mais bon, le rituel est profondément ancré et l’ascétisme également.
En visitant son appartement qu’il partage avec d’autres étudiants, je ne vois rien qui ressemble à ce que j’ai pu connaître par le passé. Tout est propre, à sa place, des versets du Coran décorent sommairement les murs. Pas de bières dans le frigo, pas de télé, et bien sûr pas de filles…
Les seules occupations : étudier, lire (surtout le Coran), écrire, prier avec ses potes.
Heureusement, le journal de foot laissé sur la table basse me donne un point de repère qui me rassure.
Nous sommes à des années lumières de ce mode de vie et finalement notre relation se fait sans ombre.
Toujours faisant route vers l’est, arrivés en Cappadoce nous faisons la rencontre de deux jeunes français Thibaut et Maeloan qui rentrent en France en sens inverse. Ils bouclent un périple de 14 mois en Asie centrale avec comme fil conducteur l’idée géniale de monter un laboratoire photo itinérant. Ils s’arrêtent au gré des rencontres et organisent des ateliers photos pour enfants. Leur blog www.stepbysteppe.com est extrêmement bien documenté et superbement rédigé.
La Cappadoce est une région hallucinante aux paysages lunaires et truffée de villages troglodytes.
C’est l’endroit idéal pour faire notre baptême de montgolfière au lever du soleil.
Le réveil à 5 heures est dur mais dès l’envol la fatigue est oubliée tant le spectacle est total.
Toujours vers l’Est nous faisons un arrêt au pied du mont Nemrut dans un petit village kurde du nom de Narinje. Là, nous sommes accueillis par Mehmet Kurt qui est un peu le chef du village.
Issu d’une famille de 12 enfants, il tient le seul magasin du village auquel est adjoint un restaurant fermé en cette saison vide de touristes.
Comme les mouettes que suivent les bateaux de pêche rentrant au port, notre arrivée dans le village se fait sous une nuée d’enfants qui nous harcèlent de question et qui prennent les filles d’assaut.
Très vite ce qui nous marque c’est qu’à 20 km d’un des sites les plus connus de Turquie, nous sommes plongés dans un décor moyenâgeux. Au delà de la pauvreté, c’est le manque d’hygiène qui nous prend de plein fouet. Pas d’éclairage, pas de trottoir, pas de caniveau, pas de poubelle. C’est ici que nous fêterons notre premier Noël du voyage, en partageant un confis de canard ramené de France avec une famille kurde qui nous a accueillie pour l’occasion. Les hommes boivent le thé dans une pièce pendant que nous partageons notre repas avec les femmes qui ne toucheront qu’à une seule chose : la moutarde…
La gentillesse des villageois a cependant un revers assez pesant. Pas une seconde sans que des visages curieux se pressent à nos fenêtres. Nos journées sont remplies de visites impromptues à n’importe quelle heure et les enfants comme les adultes s’installent dans notre intimité comme si de rien n’était.
Le mont Nemrut visité, nous faisons route vers Dogubeyazit, notre dernière étape avant l’Iran.
Sur l’un des cols, nous sommes pris par une tempête de neige et un embouteillage de camions nous force à stopper notre ascension. Malheureusement nous glissons en marche arrière sur la pente sans possibilité d’immobiliser le camion. La caravane se met en travers et c’est finalement grâce à elle que notre course à rebours s’arrête.
Non sans mal nous finissons les dernières dizaines de kilomètres pour trouver refuge dans une station service qui nous abritera pendant trois jours, le temps de voir le soleil qui nous dévoile un paysage montagneux superbe et immaculé.
Nous partons vers l’Iran et nous quittons la Turquie avec regret.
Les filles ont trouvé leur rythme et apprécient vraiment ce qu’elles vivent. Eve fait même ses nuits. Que demander de plus ?
Peut-être un peu de chaleur car bivouaquer par –15 degrés rend le voyage difficile et nos habitudes sont chamboulées. Nous avons mis de côté les devoirs du CNED pour les fêtes et nous attendons des conditions plus clémentes pour reprendre le cours normal de notre périple.
Greg
Revenons de turquie en camping car et avons ressenti les mêmes choses que voussur ce pays
Avons aussi été hébergé par les pompiers
Auriez vous une adresse courriel pour que nous leur envoyons des photos . Celle qu'il m'ont donné n'est pas bonne
Merci
Rédigé par : Rioux françoise | 24 septembre 2008 à 13:10