Bon, par quoi commencer ?
Tout s’est tellement précipité depuis notre traversée des Andes et notre retour en Argentine que nous n’avons même plus le temps de mettre à jour le blog.
D’abord, après de longues réflexions, nous avons décidé d’écourter notre tour du monde et de rentrer en Europe cet été après 3 ans de voyage, 80 000 km, 26 pays visités, 2 caravanes éclusées et la naissance d’un bébé au Chili voici 3 mois. Nous avons pris cette décision pour plusieurs raisons.
Premièrement, Margot, qui a maintenant 12 ans et est en pleine adolescence, a envie de retourner à l’école et de se faire de nouvelles copines. Elle veut une chambre pour elle toute seule, sa propre adresse email et trouve ses parents lourds et chiants. Vous voyez le tableau !
De plus, nous avons de plus en plus de mal à assurer le CNED des grandes avec Eve et Maud qui nous accaparent beaucoup. Après 3 ans d’éducation à distance, nous pouvons dire que les cours sont en général bien faits aussi bien en primaire qu’au collège et qu’une fois passée la première année pour trouver notre rythme, il est assez agréable d’instruire soit même ses enfants. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes s’il n’y avait pas ces satanées évaluations à envoyer toutes les 3 semaines pour Marie et toutes les 2 semaines et demie pour Margot. 2 semaines et demie ça passe vite, très vite, trop vite et alors on stress car les enfants ne sont jamais à l’heure, car il y a trop de choses à faire en trop peu de temps. On met la pression aux enfants, vite, vite, on est toujours en retard et ça finit par gâcher le plaisir et de l’élève et du professeur. Alors, je dis « le CNED oui, mais les évaluations non ». Il faudrait faire comme certains voyageurs qui ont décidé de sortir du système et d’instruire seuls leurs enfants avec juste les livres de classe comme support sans rendre de compte à l’Education Nationale. Encore faut-il en être capable et ne pas envoyer nos chers enfants droit à l’échec scolaire…
Une autre raison de notre retour est que Greg appréhende un peu de conduire la caravane sur les hauts plateaux andins de Bolivie et du Pérou. Même si notre camion est exceptionnellement résistant et la caravane est maintenant tout terrain, les passages de col à
4 000m d’altitude sont toujours éprouvants et nous ne nous sentons pas le courage d’attaquer ces deux pays difficiles avec les quatre enfants.
Et pour finir, nous avons tout simplement envie de passer à autre chose et pourquoi pas de s’installer dans un nouveau pays…
Bref, on s’active. Il nous faut réserver nos billets d’avion, renvoyer le camion et la caravane en France par bateau depuis Buenos Aires, préparer notre retour pour fin juin.
Cette région d’Argentine est absolument sublime et nous la visitons site après site sans cesser de nous émerveiller. Quel changement entre le nord et le sud ! On ne se croirait pas dans le même pays. Alors que dans le sud nous devions parcourir de grandes distances entre chaque point d’intérêt, ici dans le nord-ouest andin tout est concentré mais pas toujours facilement accessible. Certains endroits nous rappellent curieusement l’ouest de l’Australie qui nous avait tant plu.
La famille Mériguet, que nous n’avions pas vue depuis 2 mois, nous rejoint près de Tucuman et nous nous retrouvons avec plaisir. Quelques jours plus tard, arrivent les familles Parcé et Anautica. La joyeuse bande est de nouveau recomposée.
Nous sillonnons les vallées Calchaquies avec leurs modestes maisons en pisé aux colonnes néo-classiques au milieu des cactus. Ici, les habitants ne ressemblent en rien aux Argentins « européens » de Buenos Aires, ce sont les descendants des civilisations précolombiennes (les Quechuas, les Quilmes, les Incas…) ils sont plus typés, basanés et on voit bien que le métissage n’est pas arrivé jusqu’à ces contrées isolées.
Alors que nous roulons dans cette région peu habitée, laissée dans sa plus grande partie à son état naturel, nous découvrons à l’entrée du petit village d’Amaicha del valle, un musée extraordinaire qui attire tout de suite notre attention. Quel contraste avec la simplicité et la pauvreté des maisons alentour ! Le bâtiment, son jardin avec les murs extérieurs et grilles conçues comme des sculptures sont des œuvres d’art à eux seuls. Ce musée est dédié à la culture indienne et à la Pachamama, déesse de la Terre-Mère, et l’architecte est l’artiste plasticien autodidacte aborigène Hector Cruz. Alors que Margot et Marie dessinent studieusement, Greg et nos amis, profitent de ce lieu imprégné de traditions pour se livrer à quelques cérémonies de sacrifices rituels sur Maud à peine âgée de 3 mois…
Le jardin et les bâtiments, l’intérieur comme l’extérieur sont en parfaite harmonie, tous les matériaux utilisés sont naturels et retracent l’histoire et la culture indiennes. Nous sommes sous le charme et louons la sensibilité et la sagesse de l’artiste.
Un peu plus loin, nous visitons le site archéologique précolombien de Quilmes connu mondialement pour avoir été le dernier bastion indien à avoir résisté aux Espagnols plus de 130 ans grâce à sa position stratégique à flanc de montagne, à ses maisons aux épais murs en pierre avec charpente en bois de cactus et ses nombreuses cultures sur plusieurs hectares aux alentours. Maintenant, il ne reste plus que des ruines et des champs de cactus qui ont tous au minimum 250 ans. Notre charmante guide nous explique en espagnol l’histoire de son peuple qui a résisté si vaillamment pour finalement être déporté à pied à Buenos Aires au début du XXe siècle. Même si de nombreux indigènes ont réussi à fuir dans la montagne, la majorité de ceux qui ont été déportés sont morts en route de faim, de soif et de tristesse d’être séparés de leur famille et de leur chaman, le chef du village. Les terres fertiles ont été données aux Espagnols qui ont formé de grandes haciendas (vastes propriétés rurales). Bien sûr, nous avons été émus par cette tragédie même si cela s’est passé il y a longtemps. Par contre, nous nous sentons encore plus concernés par l’histoire récente de ce même site. Nous apprenons qu’Hector Cruz, le brillant architecte du musée de la Pachamama, est en procès depuis plusieurs années avec la communauté des Indiens Calchaquis pour avoir exploité illégalement le site archéologique. Comme quoi, même à l’intérieur d’une même communauté, les intérêts personnels prennent parfois le dessus sur les intérêts de tous ! Nous sommes déçus mais nous nous gardons bien de prendre partie.
Nous arrivons à la Quebrada de Cafayate qui est un des plus beaux canyons de la région. Nous quittons la route pour nous enfoncer sur une piste au milieu des roches rouges qui flamboient au coucher du soleil, le site est somptueux et nous avons la plus belle voûte étoilée pour éclairer notre bivouac. Les enfants partent en expédition au milieu des cactus pour ramener du bois mort pour faire un feu de camps. C’est l’anniversaire de Stéphanie qui fête ses 38 ans. Olivier sort sa guitare, les enfants improvisent une boum, les pères sautent au dessus du feu une bière à la main. Il fait légèrement frisquet (nous sommes à 1 600m d’altitude) et on se réchauffe comme on peu ! Le lendemain, nous longeons toute la quebrada qui est superbe, les strates sédimentaires sont multicolores, la nature s’en est donnée à cœur joie et nous ne savons plus où donner de l’appareil photo. Les filles, elles, se retrouvent entre copines dans le camion et ne pensent qu’à écouter de la musique. Ah, parfois, on a vraiment l’impression de donner de la confiture à des cochons !
Nous reprenons la fameuse Ruta 40 qui traverse toute l’Argentine du sud au nord (4 600km jusqu’en Patagonie) en direction du village de Cachi. C’est d’ailleurs plus une piste qu’une route qui passe par des endroits assez reculés et typiques. Le convoi (2 camping-cars de 7m de long, un camion Man aménagé de 16 tonnes, le Sprinter et la caravane) ne passe pas inaperçu et laisse derrière son passage un nuage de poussière impressionnant. La région autour de Salta, entre les frontières du Chili et de la Bolivie, est une région de hautes montagnes de la Cordillère des Andes largement désertique, aride et peu peuplée. Ce sont des paysages et un climat complètement nouveaux pour nous. Les températures sont idéales, des journées ensoleillées mais pas trop chaudes et des nuits fraîches.
Nous faisons une halte au village de Seclantas où nous devons retrouver Luc, un français retraité vivant depuis 4 ans à Salta, ami de la famille Mériguet et qui nous a donné rendez-vous ici pour nous faire découvrir une balade connue de lui seul et donc indiquée dans aucune brochure touristique. Nous sommes invités à camper dans le jardin de Fido et Marta qui possède un « hospedaje » à la sortie du village et qui nous serviront de guide.
Le lendemain, je reste au camping-car avec Eve et Maud trop petites pour faire la balade, tous les autres partent pour la journée et reviennent enchantés même s’ils ont été secoués comme des pruniers lors du voyage en 4x4 qui, bien sûr, a été le moment préféré des filles.
C’est dans cette région que nous commençons à découvrir l’artisanat traditionnel des Indiens. Les artisans habitent de modestes petites maisons en terre avec un simple toit en tôle ondulée, un petit jardin de terre et de poussière mais fabriquent sur leurs métiers à tisser de magnifiques ponchos en laine de moutons ou de lamas de très belle qualité. Ici, les couleurs traditionnelles de Salta sont le noir et le rouge sang de bœuf. Cependant, Greg craque pour un poncho rayé marron et rouge du plus bel effet qui lui donne un petit air de Clint Eastwood dans le film « Pour une poignée de dollars ». Avec le poncho, la barbe de quelques jours et le paysage désertique, on s’y croirait presque !
Toujours sur la Ruta 40, nous prenons en stop des jeunes Argentins voyageant en sac à dos pour découvrir leur pays ainsi qu’un couple de paysans habillés avec les vêtements traditionnels des gauchos. Ils se rendent à une procession religieuse et nous invitent à les suivre. Les camping-cars sont vites bloqués par la procession et nous nous retrouvons au milieu de dizaines de gauchos à cheval, fiers et parés de leurs plus beaux atours. Nous nous félicitons de notre chance en les mitraillant de photos.
Nous arrivons finalement à Cachi qui est à 2 200m d’altitude. C’est un petit village typique qui semble avoir échappé au temps. La petite église est jolie et les maisons sont un mélange surprenant de style colonial calchaqui avec galerie à colonnes, patio et matériaux campagnards comme la brique crue et la chaux. Le tout est très charmant.
Nous quittons la piste poussiéreuse et l’arrière-pays aride pour nous rendre à Salta chez Luc et sa femme Colette qui nous ont invités quelques jours chez eux. Le paysage change radicalement. Salta est une grande ville au passé colonial parmi les mieux conservés d’Argentine et il reste d’ailleurs en centre ville de belles maisons seigneuriales du 19ième siècle.
Leur maison est très agréable avec une salle à manger extérieure ouverte sur un immense jardin. Il faut dire qu’ici il fait toujours chaud et même l’hiver quand les nuits sont fraîches le soleil réchauffe vite l’atmosphère la journée. Finis la poussière et les cactus, nous nous installons sur une belle pelouse au milieu des fleurs et des animaux. C’est en effet, le paradis des enfants ici. Il y a des cochons, des poules, des lapins, des chèvres au bout d’une corde que promène Eve partout dans le jardin, des chevaux, des chiens et même un guanaco d’un an qui balade les enfants sur son dos.
Nous sommes reçus comme des rois et c’est la fête le soir. Nous apprenons de la bouche même des amis argentins de nos hôtes, Horacio et Juan, les secrets d’un bon asado. Rien à voir avec notre technique du barbecue du week-end bourré de braises brûlantes qui saisissent la viande rapidement en la laissant saignante en quelques minutes. Ici, l’asado est un art qui demande de l’équipement : non seulement il faut un bon barbecue avec une grille dont la hauteur peut se régler grâce à une crémaillère mais aussi une brouette, une pelle en fer et des pinces géantes ! En effet toute la réussite de la bonne cuisson de la viande tient en la quantité de braises disposée et de sa chaleur. La brouette sert à stocker les tisons qui sont rajoutés un à un avec les pinces sous la grille en différentes épaisseurs selon le type de viande cuite.
Comptez une bonne heure et demie de cuisson pour une pièce de bœuf moelleuse, saignante et juteuse… à n’y rien comprendre !
Les invitations se répètent les jours suivants et la grande tablée ne désemplit pas. Nous sommes plus de 20 chaque soir et sommes initiés à une autre spécialité argentine « le locro » sorte de ragoût d’haricots avec de la viande, un peu notre cassoulet à nous.
Les conversations vont bon train moitié en espagnol, moitié en français avé l’accent du sud de Luc, Colette et Olivier tous 3 originaires du village de Mèze près de Montpellier. L’ambiance est chaleureuse, arrosée de Pastis et de bon vin et surtout grâce au franc parler, à la gentillesse et à la spontanéité de nos hôtes.
Nous restons une semaine à faire des lessives, visiter la ville et nous reposer car nous allons reprendre la route vers les frontières chilienne et bolivienne.
Plus nous montons vers le nord dans la cordillère des Andes et plus il fait froid la nuit. Nous sommes maintenant en mai et c’est l’automne. Toujours avec la famille Mériguet, nous allons à la Quebrada de Humahuaca (3 000m d’altitude) qui est une vallée fluviale classée au patrimoine mondial de l’Humanité tellement les montagnes ici sont belles et colorées. Rien qu’en roulant sur la route principale depuis notre véhicule nous profitons de paysages sublimes. Nous sommes maintenant dans l’Argentine bolivienne et découvrons d’autres spécialités comme les feuilles de coca que chiquent les Indiens à longueur de journée en en faisant une grosse boule qu’ils gardent dans la joue. Au départ, ça surprend car on croyait qu’ils avaient tous une rage de dents. On goûte à la viande de lama, c’est bon et pas trop fort, aux humitas (grains de mais broyés et fromage de chèvre dans une feuille de mais), à la cayote (confiture de potiron) et on commence même à adorer la dulce de leche. Il faut dire que ça fait maintenant 7 mois que nous sommes en Amérique du sud alors on se fait aux habitudes du pays.
Le paysage le plus marquant de cette région est peut-être le village de Pumamarca avec son mont aux 7 couleurs appelé « la palette du peintre ». C’est superbe mais nous sommes les seuls à apprécier car les enfants sont maintenant blasés par les ocre, rouge, jaune, violet, sienne, marron… omniprésents depuis maintenant une semaine.
Ce n’est pas grave car en bifurquant vers l’est pour retraverser de nouveau la frontière et aller au Chili, nous nous arrêtons dans les Salinas Grandes, le plus grand salar (lac salé sec) d’Argentine qui couvre 120 km2. Il est minuscule en comparaison avec son voisin bolivien d’Uyuni (12 000 km2) mais ça nous suffit amplement pour nous dépayser et se croire sur une autre planète. C’est beau, blanc, pur et éblouissant. Le sel est exploité en petits tas et par endroits, on se croirait un peu dans les marais salants de l’Ile de Ré, l’eau en moins.
La croûte de sel est dure et on peut rouler dessus. On décide de bivouaquer ici pour une nuit et nous nous installons en plein milieu de cet espace immense et sans limites loin de tout. Les enfants adorent, les parents aussi. C’est une ambiance nouvelle pour nous et complètement irréelle. On coure, on touche, on fait craquer le sel sous nos pied, on goûte aussi, on creuse (il y a de l’eau dessous !) et on s’amuse à faire des photos qui défient les lois de la perspective.
Mais dès que le soleil se couche, on crève de froid. On met les bonnets et les écharpes pour pouvoir rester dehors et admirer la voûte étoilée magnifique qui n’est polluée par aucune lumière à des kilomètres à la ronde sauf peut-être celle de la maison des ouvriers de la saline qui dorment sur place. On espère qu’ils sont mieux chauffés que nous…
Le lendemain, nous reprenons la route, pas grand-chose de plus à faire ici. Il nous reste beaucoup de route pour arriver à San Pedro de Atacama au Chili en passant par le Paso de Jama dans la montagne qui culmine à 4 200 m.
Isa
Les commentaires récents