Nous quittons Panchgani et ses montagnes reposés et frais.
Sortir du camping n’a pas été une mince affaire, et grâce à l’aide d’André et de ses treuils, nous reprenons la route après une heure d’effort à extirper la caravane des pentes de son terrain.
Le paysage du sud de l’Inde est magnifique. Partout des rizières, des eucalyptus, des arbres gigantesques et des buffles à bosse aux cornes peintes. L’Inde est décidément toute en couleur.
La route vers Bangalore, notre prochaine étape, est longue. Comme partout en Inde, il n’y a pas de panneaux. Aussi faut-il demander sa route à chaque instant pour pouvoir avancer.
L’astuce consiste à demander la direction d’un village pas trop éloigné, car au-delà de 30 km les villageois ne connaissent pas leur région. Puis, muni d’une indication, il faut redemander 2 à 3 fois à des interlocuteurs différents afin de s’assurer de sa fiabilité.
En principe, pas de problème, car où qu’on soit et à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, on trouve quelqu’un à qui parler !
Après deux jours d’enfer sur la soi-disant autoroute nous arrivons à Bangalore, le San Jose high-tech indien.
Conduire sur l’autoroute est une véritable épreuve. La deux fois deux voies est chaotique. Certains tronçons sont défoncés, caillouteux et poussiéreux. Les autres, bien que refaits à neuf sont néanmoins dangereux. Des bus bondés à craquer, chargés de passagers qui débordent des fenêtres et des portes, des camions Tata gigantesques, des carrioles tirées par une paire de buffles ou des vélos arrivent à contresens, jaillissent de nulle part, c’est l’horreur…
Nous arrivons du nord et nos hôtes habitent au sud de la ville. Il nous faut plus de deux heures pour traverser une ville plutôt propre et arborée avec ses innombrables terrains militaires et, comme toujours, ses embouteillages.
Le soir, nous arrivons enfin à Palm Meadows, le compound de Sabine et Alexandre.
Le contraste est saisissant. Au bout d’une jolie allée plantée de palmiers s’ouvre un gigantesque complexe paysagé. L’architecture des villas est plutôt réussie et l’ensemble est propre, homogène, organisé, bref à l’américaine. Nous sommes en plein épisode de la série « Desperate housewives ». L’endroit le plus improbable de l’Inde s’offre à nous !
Nous sommes tellement épuisés que nous ne sortirons qu’une fois pour découvrir les rues commerçantes de cette ville en plein boom économique.
Le reste du temps nous continuons intensément le CNED avec les petites, nous trions les photos, remettons à jour le blog et envoyons des dizaines de mails tout en profitant de la somptueuse piscine. Isa, comme d’habitude, se jette sur la machine à laver providentielle…
Le soir nous dînons avec Sabine, Alexandre et leurs amis autour de pâté et de foie gras arrosés de vins français dont nous savourons chaque bouchée.
Après 5 nuits, il nous faut quitter cet eldorado pour continuer notre boucle vers le sud.
Nous visitons les temples hindouistes quasi millénaires de Belur et Halebid superbement conservés.
Les filles se régalent de croquis et s’interrogent sur quelques bas reliefs assez suggestifs.
J’ai du mal à imaginer des sculptures du Kama Sutra sur les façades de nos églises et je trouve finalement la religion hindoue assez sympathique.
Quelques kilomètres plus loin, c’est la colossale statue dénudée de Sravanabelagola qui nous coupe le souffle (il faut dire que pour y parvenir nous avons dû gravir pieds nus les 614 marches qui y mènent).
Pendant l’ascension, nous croisons quelques prêtres complètement nus et, là-encore, j’ai du mal à imaginer nos curés de campagne accueillir les fidèles dans leur plus simple appareil…
Isa reprend ses esprits et mitraille le dieu jaïn Bahubali qui est sobrement représenté sous forme du plus grand monolithe du monde (17 mètres de haut).
Après ce périple religieux à l’iconographie assez originale, nous décidons de faire le plein de nature et partons à la recherche des éléphants.
Le site de Dubare dans la jungle, nous a été conseillé et nous y faisons escale pour deux jours.
Impossible à trouver nous utilisons les services d’un jeune guide, Punith, que nous rencontrons à Madikeri.
Madikeri est une des nombreuses « hill stations » où les indiens des plaines viennent se ressourcer pour oublier la chaleur et la pollution qu’ils affrontent au quotidien.
La ville est sans intérêt mais la campagne alentour est exclusivement constituée de champs de caféiers qui poussent à l’ombre d’arbres majestueux.
Les plantations sont parfaitement entretenues et généralement délimitées pas de jolies haies bien taillées. Quel contraste par rapport à la fange urbaine des villes indiennes !
La Jungle Resort où nous allons séjourner est accessible uniquement pas un bateau qui traverse un petit cours d’eau. Un chemin à gué est possible mais les panneaux « attentions aux crocodiles » nous en dissuadent.
Nous arrivons de bon matin, à l’heure du bain des éléphants, qui, d’un pas placide descendent sur les pentes boueuses qui mènent au point d’eau.
Là, quelques cornacs aguerris les font coucher dans l’eau dans laquelle ils viennent se soulager du repas de la veille mais c’est sans doute un détail.
Tout le monde est mis à contribution et les filles frottent énergiquement les éléphants à l’aide de pommes de pin sauf Eve qui est très impressionnée et reste prudemment en retrait.
Le spectacle est génial, tant la docilité de l’animal contraste avec la force qu’il dégage.
Après les ablutions, c’est l’heure du repas. Des boules (compte tenu de la taille, on ne peut pas parler de boulettes) de mélange végétal ressemblant fort à des excréments d’éléphants sont cuites et enfoncées à main d’homme dans la gueule du pachyderme qui semble apprécier.
Tout va lentement, sans bruit, à l’ombre des flamboyants en fleur. Un vrai bonheur.
Les bungalows joliment dessinés sont confortables et nous prenons nos quartiers avant de partir pour un safari dans la réserve naturelle.
Un 4x4 Tata au toit ouvert nous conduit sur les pistes sinueuses noyées dans la végétation luxuriante. Nous slalomons entre les massifs de bambous géants dont certains sont calcinés suite aux récents feux de forêt.
Nous croisons des écureuils géants (grands comme des ratons laveurs avec une queue rousse), des éléphants sauvages, des daims, des oiseaux et une sorte de buffle gros comme un camion qui bondit à quelques mètres de notre capot. Les filles restent muettes, ma photo est toute pourrie.
Après Madikeri, nous faisons route vers Ooty, le Val Thorens du sud de l’Inde (sans neige bien sûr). La route dans la plaine passe par une réserve naturelle, le Bandipur, qui s’étend sur 3 états : le Tamil Nadu, le Karnataka et le Kerala. Incroyable d’imaginer que des kyrielles de camions et autres voitures particulières empruntent une nationale qui traverse de part en part un parc sauvage.
Nous roulons lentement à l’ombre de la végétation abondante et croisons ça et là quelques colonies de singes qui sont tout sauf sympathiques.
Pour monter à Ooty, perchée dans les Nilgiri Hills, il nous faut emprunter une route sinueuse d’une cinquantaine de kilomètres. Il nous faudra 3 heures et demi pour y arriver.
Je maudis l’Inde et les indiens à chaque nid de poule et la caravane fait des bonds de 50 cm derrière nous. Résultat, sous les coups de boutoirs de l’essieu, la structure se plie de quelques millimètres. Ca ne l’empêchera pas de rouler, c’est le principal.
Nous arrivons à Ooty sous une pluie torrentielle et montons notre bivouac dans le jardin d’un orphelinat dont j’ai rencontré le directeur quelques jours auparavant à Mysore.
La maison est un peu excentrée du bouillonnant centre-ville et les nuits sont fraîches. Ce sera notre deuxième expérience de camping en Inde.
L’orphelinat est une petite maison avec un jardinet clos qui abrite 24 enfants venus des quatre coins de l’Inde. Tous les visages du peuple indien y sont représentés. Des enfants à la peau noir d’ébène, d’autres aux traits népalais.
Nous passerons presque une semaine dans cet univers fait de douceur, d’amour et d’organisation.
Les pensionnaires de 5 à 21 ans sont tous plus attachant les uns que les autres. C’est la période des vacances et seuls 8 d’entre eux sont encore présents. Ce sont ceux qui n’ont aucun parent connu.
Les jours se suivent sans monotonie et nous participons à la vie de cette petite communauté avec joie. Sous l’autorité silencieuse de Jennifer, les enfants gèrent leur quotidien : ménage, lessives, repas, devoirs etc…
J’invite l’ensemble des enfants à aller voir Spiderman 3 au cinéma. Ils mettent leurs plus beaux habits pour l’occasion et les filles passent des heures à se coiffer.
Nous arrivons au cinéma une heure avant la projection. C’est la foire d’empoigne au guichet et après beaucoup d’agitation, j’arrive enfin au comptoir. Stupeur, il y a 5 sortes de tickets : les boxes et les catégories I à IV.
La place en catégorie II ne coûte que 25 roupies (0,5 euros) et la qualité de la projection est comparable à celle de nos salles.
Les publicités sont des diapos projetées pour vanter les mérites des magasins locaux. Il y en a pour tout le monde : l’électricien, le quincailler, le restaurateur et ainsi de suite…ça me rappelle un peu Chatou.
Le film commence et 1 heure après, en plein milieu d’une scène, le projectionniste arrête la bobine pendant un quart d’heure. Les portes s’ouvrent, le public sort fumer, acheter à boire ou à manger. C’est le foutoir le plus complet et lorsque le film reprend, la salle est plus remplie qu’au début ! Certains indiens doivent donc se contenter de voir la deuxième moitié des films mais au moins ils ne payent pas…
A chaque scène d’action (et il y en a dans Spiderman 3) le public hurle. A chaque scène de baiser (heureusement il n’y en a qu’une dans Spiderman 3) c’est l’hystérie.
Peu avant la fin, la moitié de la salle se vide, l’autre moitié se lève !
Je finis la projection debout sur mon siège sur la pointe de pieds.
Pas de générique, la lumière revient, moi je n’en reviens toujours pas.
Avec un pincement au cœur, nous quittons l’orphelinat en remerciant nos hôtes Jennifer et Mohandas pour leur gentillesse. Nous sommes touchés par la générosité de ce couple qui tient à bout de bras cette institution depuis plus de 14 ans. Nous leur promettons de rester en contact.
Le retour sur Bangalore est semblable à l’aller. Je me dis qu’avec un peu de chance la caravane va se plier dans l’autre sens, mais il n’en est rien, dommage.
A Bangalore, nous séjournons chez Eric, jeune expatrié rencontré peu de temps avant au Bandipur. Ce sera notre base pour préparer le départ du van vers l’Australie.
Chaque jour, j’effectue les 60 km aller-retour qui me séparent des douanes et je rentre le soir, épuisé par les procédures administratives, le trafic, le bruit et la pollution.
Le dimanche arrive enfin, nous partons par le vol du soir pour Bali.
Notre tour de l’Inde aura duré 2 mois et nous n’avons pu découvrir qu’une toute petite partie de l’Inde du sud. Nous n’avons pas fait la moitié du parcours que nous avions en tête mais il faut dire que la réalité indienne est des plus difficiles pour notre mode de voyage.
Les distances sur une carte ne paraissent pas insurmontables mais dans les faits, la moindre étape de 100 km prend 2 à 3 heures auxquelles il faut rajouter le temps perdu dans les bouchons. Difficile donc dans une même journée de bouger, de faire les devoirs, d’assurer la sieste d’Eve et de visiter.
Par ailleurs les indiens sont épuisants. A titre individuel, ils sont accueillants, affables et souriants mais leur nombre rend la perception globale plus contrastée. Ce qu’on retient, ce sont les attroupements incessants autour de nous et de notre véhicule, la curiosité maladive des gens qui touchent ou démontent tout ce qu’ils voient.
Le manque d’hygiène est fatiguant à la longue car on se lasse vite des crachats, des mouchages dans les doigts perpétuels, sans parler des immondices qui jonchent les rues et qui dégagent des odeurs stupéfiantes.
Contre toute attente, je n’aurais pas été marqué par l’extrême pauvreté qu’on nous relate sans cesse. Certes, j’ai vu des bidonvilles, des mendiants mais rien d’insupportable au final.
Les villes sont toutes identiques, chaotiques, étouffantes et d’une saleté peu commune.
Il n’y a pas d’architecture typique et les restes coloniaux sont, pour la plupart, mal préservés.
L’économie la plus prospère du monde au sein de la plus grande démocratie de la planète bâtie sur des traditions sociales séculaires me laissera au final un sentiment assez étrange. Les fantasmes occidentaux qui entourent l’Inde sont immenses mais le pays est l’un des plus difficiles à visiter. Peut-être cet état de fait laisse-t-il le voyageur un peu frustré.
Ce qui marquera en fin de compte, c’est la patience et l’adaptabilité dont auront fait preuve nos filles malgré les dures conditions de voyage.
Greg
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