Nous sommes maintenant au nord de l’Australie, bien au-dessus du tropique du Capricorne, à la frontière entre l’état de l’Australie-Occidentale et le Territoire du Nord. Nous sortons de l’hiver. Il commence à faire de plus en plus chaud et plus nous nous rapprochons de l’Indonésie, plus le climat nous rappelle celui de Bali. Nous avons parcouru 8 000 km en 3 mois et cependant n’avons fait qu’un saut de puce sur ce continent gigantesque.
Pourtant nos yeux sont remplis de paysages aussi variés que spectaculaires. Nous avons quitté les plages de l’Océan Indien pour nous enfoncer plus profondément dans l’« outback » australien et ses nombreux parcs nationaux. Nous faisons route commune depuis plus d’un mois avec Aidan, notre copain irlandais de 45 ans, qui voyage dans un camping-car allemand. Sa bonne humeur perpétuelle et sa douceur de caractère en font un compagnon de voyage idéal. Il s’occupe divinement des filles. C’est le genre de personnage capable de passer une demi-heure avec les enfants à étudier le fonctionnement d’une fourmilière ou à dormir à la belle étoile, toujours avec elles, sur le toit de son camion pour admirer la voie Lactée. Bref, l’anglais des filles explose et nous, nous soufflons un peu. Nous serons à Darwin dans 15 jours et quitterons l’état de l’Australie-Occidentale. Beaucoup disent que c’est la partie la plus sauvage et déserte de l’Australie. Nous avons adoré ces trois derniers mois passant des paysages grandioses des parcs naturels uniquement accessibles en 4x4 par des routes en tôle ondulée aux plages sublimes et elles aussi quasiment désertes à l’eau transparente et turquoise. Nous avions l’esprit tranquille sans les devoirs à faire mais cependant, nous avons fait régulièrement des révisions qui nous servent bien en ce jour de rentrée scolaire. Margot rentre en CM2 et Marie en CE1. Elles suivent dorénavant les cours complets du CNED. Nous avons reçu en poste restante dans une petite ville isolée et déprimante le long de la côte, 20 kg de bouquins, en temps et en heure. Comme quoi, même au fin fond du bout du monde, la Poste est toujours fiable. Les filles commencent « Espagnol première langue ». Les bouquins sont très bien faits et sont accompagnés de plein de CD audio. C’est fou combien elles ont été immédiatement passionnées par cette langue. Nos ballades dans les gorges aux paysages dramatiques des parcs nationaux sont scandées par des « Hola, me llamo Margot, tengo diez anos… ». Eve progresse rapidement aussi bien physiquement qu’intellectuellement. Grégory qui en a assez d’avoir le dos en compote à force de la porter dans le porte-bébé a décidé que maintenant elle devait suivre notre rythme et marcher. Elle tient le coup et escalade fièrement des rochers dix fois plus gros qu’elle. Elle commence à parler de plus en plus clairement, en mélangeant allègrement les deux langues et n’hésite pas à apostropher ses sœurs d’une manière des plus véhémentes, ce qui déclenche des crises de fou rire. Le voyage leur apporte à toutes les trois une facilité à communiquer déconcertante. Elles sont parfaitement à l’aise avec les adultes et se font même des copines deux fois plus âgées qu’elles avec qui elles correspondent par mail. Bref, notre voyage est riche aussi bien en paysages fabuleux qu’en rencontres passionnantes. Les parcs nationaux, plus enfoncés dans les terres, nous révèlent leurs beautés après de longs efforts.
Après le parc national du Karijini, nous nous « attaquons » à la mythique Gibb River Road, une « track » de 800 km, saignée rouge dans le paysage, à la longue assez monotone, du bush. Nous sommes dans la belle région du Kimberley. Cette petite expédition demande de l’organisation. Nous laissons notre caravane en gardiennage dans un camping environnant et nous nous délestons de tout superflu pouvant alourdir le camion. Par contre, nous faisons le plein d’eau, d’essence et de vivres pour tenir en parfaite autonomie pendant plusieurs jours. Nous emmenons dans notre tente de toit, Aidan, notre fidèle compagnon irlandais qui lui aussi a abandonné son camping-car « grand luxe » incapable d’emprunter les routes défoncées. Nous sommes donc 3 adultes et trois enfants dans notre « petit » camion. Aidan dort dans la tente de toit en sandwich entre Marie et Margot et nous dormons à l’intérieur avec Eve. C’est encore elle qui dort le mieux, ravie d’avoir une excuse valable pour coller ses parents.
Encore une fois, nous nous félicitons d’avoir un camion 4x4 qui traverse sans peine les lits de rivières pas du tout asséchés même à cette saison dite « sèche », grimpe allègrement sur les rochers et résiste sans trop se plaindre aux kilomètres de tôle ondulée.
La route est mauvaise et fatigante mais le jeu en vaut la chandelle : les gorges du parc King Léopold sont à couper le souffle et nous faisons la connaissance de nos premiers crocodiles qui lézardent paisiblement sur le sable chaud des rivières. Interdiction absolue de se baigner sous peine de se faire dévorer tout cru ! Le soir, rompus mais ravis, nous arrêtons dans des petits campings rudimentaires mais toujours aussi bien organisés et entretenus. Nous prenons une douche à l’eau froide pour nous débarrasser de la poussière rouge qui s’infiltre partout, dans le coffre du camion, par les joints des fenêtres, laissant une fine pellicule colorée sur les murs, les sièges, la plaque de gaz et pénètre jusqu’à nos draps. Avant la tombée de la nuit, nous partons couper du bois dans la forêt environnante (nous avons même acheté une scie à cet effet !) et allumons un feu du diable qui nous tiendra souvent tard dans la nuit à écouter les aventures incroyables de notre ami irlandais qui, même s’il est passionnant, est néanmoins bavard. Nous sommes parfois rejoints par une famille australienne venant partager avec nous quelques Marshmallows qui fondent et croustillent sur le feu. Les enfants sont ravis et sont maintenant capables de marcher 4h par jour sans broncher. La « Bell Gorge » doit son nom autant à sa beauté grandiose qu’à sa forme de cloche. Nous crapahutons dans des petits sentiers rocailleux pendant une bonne demi-heure avant d’arriver à la rivière qui forme à cet endroit une piscine naturelle fabuleuse avec une succession de cascades.
La chaleur est accablante et l’eau transparente et pure, bien tentante. Nous y plongeons allègrement, l’eau jaillissante de la petite cascade improvisant un massage du dos bien agréable. En remontant sur les rives, nous remarquons avec horreur que nous sommes recouverts de petits asticots noirs de quelques millimètres de longs qui se tortillent en tous sens : ce sont des sangsues qui même si elles sont microscopiques n’essayent pas moins de pénétrer notre peau et tous les orifices de notre corps. Nous surmontons notre dégoût et nous cachons derrière un gros rocher pour enlever nos maillots et nous inspecter respectivement. Nous en enlevons plusieurs dans les recoins les plus intimes de notre anatomie. Les filles, pas dégoûtées pour autant retournent se baigner, loin de la cascade néanmoins. Quant à moi qui ne suis déjà pas friande de baignade, je jure que l’on ne m’y reprendra pas d’aussitôt ! Lors de ces expéditions, nous sommes chanceux et évitons des casses importantes. Par contre, un 4x4 un peu trop rapide, nous envoie une pierre en plein dans le pare-brise en nous croisant. Nous sommes bons pour un bel œil-de-bœuf en plein milieu de notre vitrage. Heureusement cela devrait pouvoir se réparer facilement sans avoir besoin de changer l’ensemble. Un peu plus tard, nous explosons un pneu. Nous devons aussi réparer notre chauffage au gasoil que nous avons noyé. Le bilan est lourd financièrement, mais ça en valait la peine ! 800 km, c’est long et finalement, nous décidons de faire une petite boucle de 200 km et retournons chercher notre caravane et le camping-car d’Aidan au bout de quelques jours. Nous avons vu ce qu’il y a de le plus intéressant au début de la Gibb River Road.
Nous reprenons la route normale, carrossable, pour peu de temps car de nouveau s’offre à nous un nouvel espace sauvage à découvrir : le parc national de Purnululu dit « Bungle Bungle » classé au patrimoine mondial de l’Humanité. Nous reprenons notre configuration initiale avec Aidan et c’est reparti pour les réserves en eau, en gasoil et en nourriture. L’expédition est encore plus pénible mais tout aussi, sinon plus, méritante. Les montagnes cabossées, comme de grosses barbes à papa rougeoyantes s’étirent à perte de vue.
Notre route est ponctuée par de gros baobabs bien sympathiques aux rondeurs très féminines et sensuelles. Ils sont tous protégés et certain atteignent des âges canoniques : plus de mille ans pour le fameux baobab prison à côté de la petite ville de Derby. Notre camion qui laisse derrière lui une traînée de poussière impressionnante, fait fuir sur son passage quelques kangourous et croise des troupeaux de vaches gigantesques à bosse, comme en Inde, mais beaucoup plus grasses et robustes.
Nous découvrons surtout des oiseaux splendides mais très farouches aux chants puissants qui nous réveillent tous les matins à la première lueur du jour. Certains passages à guets des rivières sont difficiles, Aidan n’hésite pas à tremper ses chaussures pour tester leur profondeur. Ca passe toujours même si nous noyons très rapidement notre chauffage au gasoil qui a la malchance d’être installé sous le bas de caisse du camion. La boule qui nous sert à tirer la caravane touche elle aussi souvent mais heureusement nous ne cassons rien. « Echidna Chasm », « Cathedral Gorge », « Mini Palm Tree Gorge » autant de ballades merveilleuses et sportives à l’ombre des rochers torturés qui nous laisseront des souvenirs impérissables. Revenus sur la « highway », afin d’épargner aux enfants de longues heures de voiture, nous décidons de tenter pour la première fois de rouler de nuit. Nous nous répartissons les enfants : Marie et Margot dorment dans « Donkey » le camping-car d’Aidan et Eve dort à l’arrière de notre camion. Nous partons après le dîner, les enfants s’endorment sans problème. Nous ouvrons la route avec nos phares surpuissants. La nuit est d’un noir profond. Rapidement, nous faisons fuir à droite et à gauche de notre camion, des nuées de pauvres kangourous effrayés et éblouis. Plus le temps passe et plus les kangourous sont fatigués et moins ils sont alertes. Ils nous regardent stupidement leur foncer dessus, réagissent tardivement et se jettent sous nos roues. Greg est agrippé au volant, les yeux écarquillés, faisant un lamentable gymkhana entre les animaux. Les bêtes sont énormes dans cette région de l’Australie, certains mâles mesurent dans les 2 m et pèsent près de 80 kg. Nous nous méfions spécialement de ceux qui sont postés au bord de la route, face à nous et qui, pris dans les faisceaux des phares ne savent pas comment réagir. Ils se déplacent souvent par deux ou par trois. Les deux premiers ont généralement le temps de traverser avant notre passage mais il faut spécialement se méfier du troisième. Au plus grand désespoir de Greg, nous finissons finalement par en écraser un qui a la correction de ne laisser aucune trace de sang sur la caravane !
Mais les kangourous ne sont rien par rapport aux troupeaux de vaches qui sont mollement avachies sur le bitume, peut-être pour y chercher un peu de chaleur accumulée dans la journée. Contrairement aux kangourous au pelage marron-roux qui réfléchit la lumière des phares, les vaches ont le mauvais goût d’être soit noires soit marron foncé, ce qui les rend très difficilement décelables dans la nuit. Elles sont en plus énormes, bêtes de natures et très lentes à réagir. Même si Greg conduit prudemment, nous avons quelques mauvaises surprises qui le forcent à quelques apartés brutaux. Heureusement, nous évitons les collisions. Aidan, qui nous suit de près car son camion n’est pas équipé des fameux phares, n’en mène pas large. Il récupère tous les kangourous et autres vaches terrorisés qui foncent alors sur lui. Lui aussi doit son pare-brise intact à quelques bons coups de freins sévères qui font glisser les filles au pied de leur lit. Elles se réveillent un peu secouées mais se rendorment aussitôt. Nous arrivons, exténués à 2h du matin dans une aire de camping au bord de la route, Aidan allume une cigarette bien méritée et nous nous promettons de ne plus renouveler l’expérience.
Nous fêtons l’anniversaire d’Eve qui postillonne fièrement sur ses deux bougies du traditionnel gâteau au chocolat. Son précédent anniversaire avait été fêté sur le site historique d’Olympie en Grèce, en plantant l’unique bougie dans un Petit- Suisse. Elle a dorénavant passé plus de la moitié de sa vie sur les routes et se transforme en vraie petite aborigène, toujours pied nu, se débarrassant dès que possible de sa couche. Son cadeau, une poussette pour poupée, vient rejoindre le lot des objets qui s’accumulent chaque jour un peu plus, dans la « chambre » des enfants. C’est fou ce que l’on peut mettre dans une si petite boite !
La caravane, dont le toit et les bas-côtés ont été recouverts de tôle d’aluminium martelée, arbore un nouveau look « Mad Max » qui se marie bien avec le paysage environnant. Elle est maintenant indestructible : le châssis a été complètement renforcé, l’essieu et les freins changés. Elle n’est cependant pas encore amphibie et nous préférons lui épargner le passage des lits de rivières. Les Australiens, grands amateurs de caravanes, sont en admiration devant elle et n’en reviennent pas qu’elle ait traversé les océans pour arriver jusqu’ici. Elle est tout en bois et a tout de même bientôt 40 ans. Nous faisons sensation, ce qui nous vaut de grands signes chaleureux de la main sur la route et au camping, c’est le sujet idéal pour amorcer les conversations. Après les enfants, c’est notre « capital sympathie » le plus important!
Nous reprenons de nouveau la route et rejoignons l’autre extrémité de la Gibb River Road et le parc national del Questro, toujours uniquement accessible en 4x4 donc toujours avec Aidan où nous faisons de nouveau quelques ballades magnifiques. Ce parc marquera la fin de notre épopée en Australie-Occidentale et ses « dirt roads ».
Puis, nous passons quelques jours, nettoyage oblige, dans la charmante petite ville de Kununurra et nous nous apprêtons à faire quelques 1 500 km en quelques jours pour rejoindre la ville de Darwin , tout au nord du pays. En effet, nous avons de nouveau de la visite de France. Notre amie Maëlle vient nous rejoindre pour 15 jours. Ce sera à son tour de dormir dans la tente de toit. Nous prévoyons de découvrir avec elle le fameux parc du Kakadu qui renferme les espèces de crocodiles les plus dangereux du monde. Tout un programme !
Isa
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