Un dernier au revoir aux innombrables portraits du roi de Thaïlande à l’aéroport de Bangkok et nous voilà dans le vol AirAsia à destination de Phnom Penh au Cambodge.
L’approche de la capitale est superbe. A perte de vue défile un patchwork de rizières entrelacées par les eaux boueuses du Mékong. Le vert tendre des pousses de riz contraste avec le kaki quasi-marron du fleuve.
Puis, sans avoir véritablement survolé d’habitations, on se pose sur ce qui ressemble à un aéroport de campagne.
Comme partout en Asie, nous nous faisons aborder par des taxis en quête de course, et c’est dans une Toyota sans âge que nous nous entassons, nous cinq sur la banquette arrière, la poussette sur le siège avant.
Ma première surprise est de voir que les voitures roulent à droite. Je réalise que depuis les Emirats Arabes (en mars 2007) nous n’avons voyagé que dans des pays qui conduisent à gauche (Inde, Indonésie, Australie, Nouvelle-Zélande et Thaïlande).
C’est sans doute un des héritages de l’occupation française… à la seule différence qu’ici les voitures ont tantôt le volant à gauche, tantôt le volant à droite, en fonction de leur pays d’importation.
La ville est chaotique, poussiéreuse et, semble-t-il en pleine reconstruction. Les rues grouillent de deux-roues qui zigzaguent entre les camions surchargés de matériaux qui viennent livrer les innombrables chantiers. Les échafaudages sont en bois, les ouvriers n’ont pas de casques mais les panneaux « Safety first » et autre « ISO 9001 » recouvrent les palissades, ça rassure…
Nous nous arrêtons à l’hôtel Indochine qui se trouve sur le quai Sisowath, au bord du Tonlé Sap dans le quartier le plus touristique de la ville.
Dehors, l’environnement est beaucoup plus dur que ce que nous avons connu en Thaïlande et ressemble finalement assez aux ambiances indiennes, les odeurs fétides en moins.
Il fait un soleil de plomb, la chaleur humide est accablante et le bruit des rues allié à la pollution rend nos balades éprouvantes.
Dans ces conditions, nous ne regrettons pas d’avoir opté pour plus de confort qu’en Thaïlande. La propreté de notre chambre conditionnée est un vrai bonheur quotidien.
Dès le lendemain, nous retournons à l’aéroport pour y chercher Magali, notre amie française venue parcourir le Cambodge avec nous. Encore une fois, c’est un réel plaisir de retrouver un sourire familier, et les récits sur les deux années écoulées vont bon train.
Sans attendre nous partons à l’assaut de la ville en commençant par ses petits marchés de rues. L’ambiance est indescriptible. On y trouve littéralement de tout : des fruits, des légumes bien sûr mais également des grenouilles dépecées vivantes, des poulets jaunis et rachitiques et des araignées énormes. La viande se découpe à même le sol à deux pas des poissons qui sont écaillés et vidés avec une rapidité déconcertante. Faut que ça saigne, et c’est pire que dans les « Joyeux bouchers » de Boris Vian. Nous progressons dans cet enfer en essayant d’éviter de piétiner les étales ou les rats crevés.
Tous nos sens sont stimulés et c’est avec soulagement que nous nous enfonçons dans des ruelles calmes et ombragées pour arriver enfin au Musée National qui nous donnera un avant-goût de ce que nous découvrirons plus tard à Angkor.
Le musée est assez vétuste, mais le charme du bâtiment est certain. Son architecture, qui rappelle celle d’un temple, est sobre, très ouverte et s’articule autour d’un jardin central en forme de cloître. Les murs sont ocre, le sol est recouvert de tomettes patinées par le temps, et les ventilateurs ronronnent au-dessus de nos têtes. L’exposition est simple mais sublime. Nous sommes conquis par notre premier contact avec la culture khmère.
Puis ce sera le Palais Royal et sa pagode d’argent (les dalles du sol sont en argent massif mais elles sont recouvertes de tapis pour les protéger, dommage…). C’est beau, propre, bien entretenu et beaucoup plus sobre et monochrome qu’en Thaïlande avec une dominante jaune et blanche.
Nous délaissons l’histoire ancienne du Cambodge et ses palais pour nous intéresser à la période contemporaine. J’ai beau lire et relire les vingt pages du guide consacrées au XXe siècle cambodgien, je n’y comprends rien.
Par exemple, le roi Sihanouk, personnage complexe, tantôt roi, tantôt Premier ministre ou homme de cinéma, allié puis prisonnier des Khmers rouges fut couronné avec l’aval des Français en 1941. En 1953, c’est pourtant lui qui mit fin à l’occupation française après sa croisade royale à travers le pays. Les choses se compliquent car il abdiqua 2 ans plus tard au profit de son propre père mais devint Premier ministre en remportant à une majorité écrasante les élections la même année ! En 1970, alors que l’opposition se renforçait, il alla se réfugier à Pékin. Puis lorsque les Khmers rouges s’emparèrent du pouvoir en 1975 il épousa leur cause communiste. De retour au Cambodge, il fut assigné à résidence par ses « alliés » khmers et du s’échapper de nouveau vers Pékin en 1979 à la chute du régime. Mais ce n’est pas tout, il remonta sur le trône en 1993 et abdiqua de nouveau en 2004 au profit de son fils…
Toute l’histoire politique du Cambodge ressemble à cela et n’est que trahison, retournement de veste, corruption et ballottement entre les grandes puissances comme les Etats-Unis et la Chine.
La période la plus noire est sans aucun doute celle du génocide khmer perpétré par Pol Pot qui plongea le Kampuchéa Démocratique dans un bain de sang de 1975 à 1979.
À Phnom Penh, nous allons visiter le S-21, le centre de détention et d’interrogatoire mis en place par les Khmers rouges où furent torturés et tués des dizaines de milliers d’innocents.
La visite est poignante. Les bâtiments sont tels que les ont trouvés les libérateurs Vietnamiens et on plonge dans l’horreur en découvrant les cellules, les chambres d’interrogatoire, ou en déambulant au milieu des innombrables portraits des victimes (y compris femmes et enfants) dont les Khmers rouges prenaient systématiquement des photos avant de les exterminer.
Le musée Tuol Sleng (nouveau nom du S-21), même s’il a le mérite d’exister, manque cependant cruellement d’explications ou de données historiques qui permettraient d’en comprendre le pourquoi et le comment. Un exemple supplémentaire du peu d’empressement que met le gouvernement actuel à entamer la réconciliation nationale notamment en repoussant sans cesse le jugement des cadres khmers emprisonnés depuis plusieurs années…
Nous n’avons pas voulu que les filles découvrent le musée avec nous et nous avons également laissé de côté la visite du charnier qui se trouve à quelques kilomètres de la ville.
Mais heureusement, il y a également des belles choses à découvrir au Cambodge car le pays fut le berceau d’une civilisation qui produit les temples les plus grands et les plus majestueux de l’Hindouisme puis du Bouddhisme dans la région d’Angkor.
Nous partons donc à Siem Reap par le Mekong Express Limousine Bus qui n’est rien d’autre qu’un autocar affichant plus de 900 000 Km à son compteur (compteur qui ne tourne plus depuis longtemps !).
La route est belle, le bus roule à vive allure en évitant les innombrables tuk-tuks, motos ou autres attelages de buffles qui lui barrent la route. Le conducteur manie le klaxon avec dextérité et les petits véhicules cèdent le passage sans broncher. Par contre certains chiens ont du mal à comprendre le sens du signal sonore et l’un d’entre eux se fait écraser dans un bruit sourd qui parcourt tout le bas de caisse.
Personne n’a l’air de s’en émouvoir si ce n’est peut-être le conducteur qui s’arrête quelques kilomètres plus loin pour vérifier que sa machine n’a rien.
Il faut dire que les passagers sont occupés à regarder la télévision qui, en boucle, nous gave de vidéoclips façon karaoké des derniers tubes cambodgiens. C’est un vrai supplice.
Les chansons n’ont qu’un seul thème : l’amour et la rupture. Le tout est cul-cul et lénifiant au possible. Il faut une bonne dose de patience et l’aide salvatrice de Magali pour gérer Eve pendant les nombreuses heures que dure le voyage.
Siem Reap est une grosse bourgade assez moche avec de grandes artères poussiéreuses. Les gros hôtels de luxe y pullulent et semblent cruellement vides. Certaines mauvaises langues (ou personnes bien informées) nous font comprendre qu’il s’agit là d’immenses lessiveuses d’argent sale.
Sous ce luxe de façade la réalité est bien différente et, au premier orage venu, les rues se transforment en un bain de boue et de détritus qu’il nous faut traverser pour aller dîner le soir.
Je me déchausse, remonte mon short et porte à tour de rôle femmes et enfants à chaque croisement sous les yeux des Cambodgiens qui rient aux éclats en me voyant faire la navette entre les trottoirs.
Dès le lendemain, nous achetons un pass d’une semaine qui nous donnera accès aux différents sites d’Angkor que nous rejoindrons en tuk-tuk quotidiennement.
Impossible de se lasser du spectacle que nous offre Angkor vat et son gigantisme, Bayon et ses visages sculptés, Ta Prohm et la végétation qui l’envahit.
L’endroit étant touristique, les jeunes vendeurs sont trop nombreux et nous sommes sollicités en permanence. Il faut beaucoup de patience pour passer outre ce harcèlement et arriver à établir un vrai contact, même fugace, avec ces enfants.
Margot, Marie et Eve se font vite les complices d’acrobaties, de courses de brouettes et d’imitations de cris d’animaux qui nous permettront d’échanger autre chose que de l’argent avec ces petits Cambodgiens plus mignons les uns que les autres.
En visitant la cité d’Angkor vat nous avions été surpris de constater que tous les arbres bordant la route avaient été placardés d’affiches politiques et en particulier de celle du PPC actuellement au pouvoir (People’s Party of Cambodia, tendance communiste).
Lors de notre retour du Phnom Penh nous avons compris le pourquoi de la chose. La route nationale n’est qu’un flot ininterrompu de camions bourrés à craquer de gens habillés de la même manière et dont l’un d’entre eux s’égosille dans un haut-parleur.
Ce qui ressemble à un exode joyeux est en fait la procession des supporters de tel ou tel parti politique partant voter dans la circonscription dans laquelle ils sont enregistrés.
Car au pays de la corruption, le vote est obligatoire et tous les moyens sont réquisitionnés pour permettre la transhumance des électeurs.
Le lendemain du vote (qui a consacré la victoire écrasante du pouvoir en place), les Cambodgiens avaient tous l’index de la main droite noirci par l’encre indélébile qui leur a servi à apposer leur empreinte digitale près de leur nom dans le registre électoral.
Tout a l’air bien organisé, sauf qu’à peine les résultats publiés, les partis d’opposition dénonçaient déjà la fraude massive…
Au même moment, une partie de bras de fer s’entame entre les Thaïlandais et les Cambodgiens. Les premiers ont fait une incursion en territoire Khmer en envoyant 6000 soldats sur le site d’un temple à 800 mètres de la frontière officielle et dont ils clament la propriété. Les seconds ont déplacé 10 000 soldats pour se préparer à l’affrontement et reprendre le tas de pierre qui leur est dévolu depuis une quarantaine d’année.
Bref, entre élections truquées et menace de conflit, nous sommes assez contents de quitter l’agitation qui secoue le nord du pays et ses grandes villes pour aller se réfugier au sud, les pieds dans l’eau.
Sihanoukville nous accueille sous la pluie qui ne nous quittera pas pendant les 3 jours que durera notre séjour.
Le Lonely Planet disait : « des plages préservées, superbes, pour soi tout seul ». La pluie torrentielle n’a certainement pas aidé notre perception de l’endroit, mais entre deux averses nous n’avons vu que des paillotes cheap, sans âme, bordées de déchets.
Le week-end, la « Côte d’Azur » cambodgienne est prise d’assaut par des milliers de Cambodgiens des villes qui viennent se baigner et se bâfrer de poissons et autres poulpes grillés.
Le charme de l’endroit réside donc plutôt dans cette marrée humaine qui se baigne tout habillée (qu’il pleuve ou qu’il vente) et qui sent la crevette à plein nez.
L’ambiance nocturne est plus flatteuse et les petites gargotes allument leurs lampions et leurs barbecues.
Même si chaque soir un chauffeur de tuk-tuk m’arrête dans la rue pour me proposer des filles ou de la drogue, après quelques jours, la déprime s’installe…
Nous décidons donc de retourner plus tôt que prévu sur Phnom Penh non sans réserver aux filles une dernière baignade dans les énormes rouleaux qui s’abattent sur la plage.
Le retour sur Phnom Penh se fait sans encombre. Il pleut moins que sur le littoral frappé de plein fouet par la mousson et nous reprenons nos petites habitudes de quartier.
Une dernière visite du musée national pour récupérer la tête de 13 kilos du roi Jayavaraman VII en ciment sur laquelle on avait craqué, quelques dernières emplettes au marché russe et c’est le départ. Pour Magali, retour sur Paris, pour nous, retour sur Bangkok avant de rejoindre notre prochaine destination : le Vietnam.
Au final, nous garderons un souvenir mitigé du Cambodge.
Les traces des conflits nous ont rappelé les ambiances urbaines de Bosnie que nous avions découvertes au début de notre périple. La chaleur, l’humidité, la désorganisation et le dénuement de certaines personnes nous ont rappelé l’Inde.
À ma grande surprise, les traces du protectorat français (demandé par les Cambodgiens eux-mêmes au milieu du XIXe siècle) sont quasi inexistantes.
Le pays, qui est l’un des 10 pays les plus pauvres du monde, semble jouir d’un capital sympathie énorme et l’on ne compte plus les panneaux de projets de coopération ou les 4x4 des missions d’aide humanitaire.
Malgré cela, le Cambodge va mettre du temps à se relever de son passé douloureux et à lutter contre une corruption endémique car flotte un sentiment très fort de résignation, mais toujours avec un large sourire…
Greg
Un petit bisous à toute la belle famille Lebourg. Quel merveilleux projet ! J'ai eu de tes nouvelles, Isa, de la part de mes parents ! Télépathie? en tous cas, cela me fait super plaisir de voir que vous passez des moments inoubliables en famille ! Profitez bien. Mille Bisous, Arnaud (en bas de la petite sente d'Alex ! Plein de souvenirs encore dans la tête d'ailleurs!)
Rédigé par : Arnaud | 10 septembre 2008 à 23:56
Waouh Mag en maillot...
Top classe !
Béa
Rédigé par : Béa | 05 septembre 2008 à 22:32