Nous arrivons en Iran la tête pleine de clichés aussi bien positifs que négatifs.
Nous avons hâte de faire connaissance avec ce pays au prestigieux passé, à la culture et a l’histoire anciennes, complexes et multiples et en même temps nous sommes bourrés d’idées préconçues et profondément marqués par les images télévisées de la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran au début des années 80, la fatwa lancée contre Salman Rushdie plus récemment ou encore le scandale des caricatures des journaux norvégiens et le problème de la dotation de l’arme nucléaire.
Tout le monde nous exhorte à passer notre chemin que ce soit notre famille ou bien nos amis turcs. Malgré tous ces avertissements nous décidons de faire notre opinion par nous-mêmes. En effet, qu’est devenue la Perse antique de Persépolis qui nous livre tant de beauté au musée du Louvre ? Ce pays raffiné ne peut pas être simplement réduit à cette théocratie obscurantiste opprimant la femme, hostile aux étrangers, au régime fanatique et rétrograde.
A peine passés la frontière, nous sommes assaillis par des sentiments contradictoires.
Nous sommes d’emblée séduits par la beauté de l’écriture, suite de crochets et de points forts calligraphiques que, hélas nous ne comprenons pas. Impossible de repérer de loin un boulanger ou un restaurant et, trop impressionnés pour nous arrêter, nous décidons de déjeuner sur le pouce dans la voiture. Le passage de frontière est toujours un moment fort, nous devons de nouveau perdre nos habitudes, oublier nos quelques mots de remerciement ou de conversation courante apprise dans le pays précédent, nous habituer à une nouvelle cuisine et à des mœurs différentes. Pour la première fois depuis notre départ, non seulement nous ne comprenons pas la langue mais en plus, nous ne sommes pas capables de déchiffrer les panneaux sur la route.
L’Iran, contrairement à la Turquie, nous offre des routes de bonne qualité et de l’essence à un prix défiant toute concurrence : ainsi nous aurons l’agréable surprise de payer un peu plus d’un euro pour le plein de 90 litres de notre camion.
Notre première étape est la ville de Tabriz, capitale de la région de l’Azerbaïdjan, réputée pour ses brillants écrivains, politiciens et commerçants mais aussi pour la rudesse de son climat l’hiver. Nous sommes servis. Il neige abondamment et la température descend bien en dessous de zéro. Après une première nuit dans l’unique camping absolument désert de la ville, nous sommes très chaleureusement abordés par deux jeunes azéris parlant un anglais et un français impeccables nous proposant de venir déjeuner chez eux pour nous réchauffer. Nous acceptons promptement, ravis de cette nouvelle rencontre et c’est ainsi que nous allons être adoptés pendant plusieurs jours par Siyamak, Ramin et par toute leur famille respective. Comme par miracle, ici le climat hostile est largement compensé par la chaleur de l’accueil, le sens inné de l’hospitalité de nos hôtes qui nous gardent à déjeuner puis à dîner puis finalement à dormir et ce pendant plusieurs jours. Les enfants sont choyés. Pour la première fois depuis longtemps nous pouvons communiquer en anglais ou en français et sommes capables d’avoir une vraie conversation, d’échanger des idées avec nos nouveaux amis que nous assaillons de questions sur leur pays, son évolution, leurs espoirs et leurs attentes. Nous parlons beaucoup politique bien sûr, bien à l’abri des murs de l’appartement mais nous trouvons aussi le temps de visiter rapidement la ville, son bazar gigantesque, labyrinthe de 35 km de long avec ses quelques 7 000 boutiques, beaucoup plus typique que celui d’Istanbul, grouillant et chaleureux, sa mosquée Bleue, beaucoup plus bleue que son homonyme stanbouliotte où nous passerons plus de temps en bataille de boules de neige qu’en visite et enfin le musée de la ville où nous ferons une pose studieuse.
Poussés par le froid, nous décidons de partir pour Téhéran plus au sud. Nous avons désertés notre camion pendant plusieurs jours et constatons quelques dégâts causés par le gel : notre système de filtration de l’eau a explosé et toutes les canalisations sont gelées. Il en est de même pour l’huile de cuisine et le gel douche. Des stalactites pendent lamentablement de nos réservoirs d’eau extérieurs et de crasseux blocs de glace et de neige salie sont accrochés sous la caravane et aux passages de roues. Notre convoi fait piètre figure.
Tabriz- Téhéran : 600 km à parcourir qui nous réservent bien des surprises.
A peine une heure après avoir quitté Tabriz, alors que nous commençons à être bercés par la monotonie de la route, nous sommes soudain collés par une voiture qui nous suit de près, nous envoie moult appels de phares et nous fait signe de nous rabattre sur le bord de la route en brandissant une carte que nous prenons de loin pour une insigne de police. Ne comprenant pas ce qui nous arrive, nous coopérons et alors que les quatre occupants de la voiture viennent à nous d’un air plutôt menaçant, nous intiment de les suivre au poste de police le plus proche et tentent de monter dans le camion, notre ami Siyamak, qui a eu la bonne idée de voyager avec nous, réalise que les policiers sont en fait des pirates de la route qui en veulent sûrement à notre argent. Il essaye de leur arracher leur fausse carte de police et les repousse hors de la voiture. Les voleurs , réalisant que les touristes français qu’ils voulaient pigeonner sont bien accompagnés, prennent peur et filent à toute vitesse. Nous sommes un peu sonnés par ce qui vient de nous arriver. Tout s’est passé très vite et nous n’avons rien compris. Siyamak est encore plus bouleversé que nous. Contrairement à nous, il a vu venir le danger. Il nous sermonne à juste titre et nous met en garde contre notre naïveté et notre excès de confiance. Je pense qu’il est aussi déçu qu’à peine arrivés en Iran , nous puissions déjà avoir une mauvaise opinion de son pays.
Il y a des congères partout sur les bords de route et bientôt, alors que nous traversons des plateaux désertiques, la température chute à –25 degrés. Partout, des deux côtés de la route, des camions sont arrêtés, l’essence ayant gelé dans les réservoirs. Les pauvres conducteurs essayent vainement de se réchauffer en allumant des feux de fortune. Les enfants dorment insouciants à l’arrière du camion et nous arrivons en début de soirée dans la capitale grouillante où heureusement, nous trouvons assez facilement où nous garer pour la nuit en face d’un restaurant accueillant qui nous donne de l’électricité pour la nuit. Hélas, notre petit radiateur électrique acheté il y a deux mois en Grèce nous lâche ayant peut être été trop sollicité. Greg et Siyamak, en galants hommes, dorment dans la caravane par –2 degrés.
Heureusement, nous avons un contact salutaire à Téhéran. Katia, une amie d’enfance de Greg qui est maintenant mariée avec un iranien, nous reçoit pour quelques jours chez elle et nous fournit l’électricité. Nous dormons donc dans la rue dans le quartier nord, résidentiel de la capitale. Contre toute attente, c’est calme et nous dormons bien.
Dès notre arrivée, la ville me déplait profondément et je suis choquée par l’absence de couleurs et l’uniformité de gris sale et pollué des immeubles. Au loin, à travers un épais nuage de smog, se découpe la silhouette des montagnes enneigées. La ville est globalement laide, l’urbanisation y est anarchique et il y a peu de choses à visiter. Cependant, nous serons obligés d’y rester une bonne semaine car nous devons attendre que Margot se fasse faire un appareil dentaire.
Katia nous a prévenu dès notre arrivée «A Téhéran, on ne peut faire qu’une seule chose par jour» et elle a raison. La circulation est affolante, personne ne met sa ceinture, le parc automobile est archaïque, aucune règle de circulation n’est respectée, chacun use et abuse de son klaxon pour se faire respecter et personne n’hésite à faire demi tour sur l’autoroute et remonter à contre sens. Etonnamment, le nombre d’accidents paraît faible. Cette mégalopole de presque 15 millions d’habitants regroupe 1/5 ème de la population, la pollution y est étouffante et le bruit permanent.
Notre installation dans la rue est apparemment mal vue par le voisinage et heureusement nous sommes accueillis des plus chaleureusement par Shahin et sa famille qui habitent un peu plus haut dans la rue. Shahin parle couramment français et nous prend complètement en charge. Nous passons nos journées chez eux du petit déjeuner au dîner et retrouvons notre caravane uniquement pour dormir. Non seulement, il nous offre le gîte et le couvert et en plus nous sort d’une impasse supplémentaire en nous prêtant de l’argent afin de pouvoir continuer notre voyage car il est impossible d’utiliser nos cartes de crédit en Iran. Le pays est en effet tenu à l’écart du système bancaire international par l’embargo américain.
Après quelques essais peu fructueux de sortie pour visiter la ville, nous décidons de rester tranquillement dans l’appartement de Shahin et passons le plus clair de notre temps à parler politique. Nous ne connaîtrons donc de Téhéran que les embouteillages et le stress.
Tous les gens que nous rencontrons détestent le gouvernement en place des mollahs. A chaque coin de rue nous nous heurtons aux portraits de Khomeini et de son successeur Khamenei qui semblent surveiller la population un oeil inquisiteur. La police religieuse est elle aussi omniprésente quoique largement débordée depuis quelques années par le vent de libéralisme qui souffle modestement sur le pays. C’est dans la rue où nous pouvons noter un certain assouplissement des règles de conduites jusqu’alors très strictes sur le plan vestimentaire: petit à petit le tchador noir de rigueur est remplacé par des foulards moins conventionnels parfois très colorés et portés très en arrière sur les cheveux laissant dévoiler un maquillage ostentatoire et le manteau noir descendant jusqu’aux chevilles cachant bien les fesses se fait de plus en plus court et serré. Ainsi la tenue vestimentaire relève autant de la mode que du geste politique.
Il en va de même pour les antennes satellites, elles aussi interdites et pourtant si nombreuses.
Pourtant les interdits et les discriminations sont encore de mise partout. Les lois relatives à la famille sont défavorables aux femmes : la polygamie est toujours autorisée et ainsi un homme peut non seulement épouser légalement 4 femmes mais peut en plus se marier temporairement à d’autres femmes (le sigheh). La ségrégation des sexes se fait partout ainsi notre ami Shahin regrette de n’avoir jamais pu aller à la plage en famille ou encore à la piscine voir sa fille remporter la médaille d’or de natation.
Cependant, l’élection de Khatami en 1997 puis de nouveau en 2001 avait donné de vifs espoirs de libéralisations sociales et économiques mais hélas toutes les tentatives d’assouplissements ont rapidement été bloquées par le tout puissant Conseil des Gardiens semblant bloquer à jamais la voie du changement.
Depuis les iraniens attendent, résignés.
Toujours poussés par le froid, nous partons ensuite pour la ville de Qom, deuxième ville la plus religieuse d’Iran où Khomeini a d’ailleurs fait ses études de droit et de théologie. Quel contraste après Téhéran ou Tabriz ! La ville est remplie de mollahs en robes et de tchadors noirs. L’atmosphère n’est pas gaie et je ne me sens pas spécialement à l’aise.
Pour visiter l’Azrat-e masumeh, la somptueuse mosquée accueillant le tombeau de Fatameh, je dois pour la première fois porter un tchador prêté à l’entrée qui me permet de compatir encore plus avec ces pauvres femmes affublées de ce morceau de tissu glissant que rien ne retient et qu’il faut rattraper avec les doigts, les mains, les coudes et même les dents.
Isa
Commentaires