Nous laissons temporairement l’énorme parc d’attraction en construction que sont les Emirats pour faire route vers la Péninsule du Musamdam, enclave omanaise au nord est de la Péninsule Arabe.
Quelques heures de routes à travers les dunes et un petit émirat tout crado nous mènent, à la nuit tombée, à la frontière omanaise.
Les douaniers sont assez intrigués par notre véhicule mais il est manifestement trop tard pour qu’ils s’attardent en quelques chipoteries. C’est dans un bâillement à se décrocher la mâchoire que le douanier de faction nous tamponne les passeports sous l’œil mi-clos de son supérieur.
Tout de suite le pays me plaît : outre un passage de frontière des plus cools, la route sinueuse pincée entre des montagnes écorchées et une mer d’huile qui nous conduit à notre destination est hallucinante, même de nuit.
Nous resterons au pied d’un hôtel dans lequel nos amis français, Anne, Nicolas et Alexandre, rencontrés peu avant à ski Dubaï, vont résider pour le week-end.
Nous sommes en avance sur eux, les employés nous invitent à nous coller au mur d’enceinte et nous offrent des rafraîchissements en guise de bienvenue.
Le soir même je fais la rencontre sympathique d’un jeune allemand, Peter, qui travaille comme logisticien d’une équipe de scientifiques internationale venue étudier la vie du léopard du Musamdam.
Il me dit revenir d’une campagne en Afrique du sud pour une autre bête en voie d’extinction dont je ne me rappelle plus le nom.
Je me dis qu’il y a des jobs sympas sur terre...
Le lendemain, une journée passée en bateau avec les 7 enfants, les trois nôtres et les quatre leurs, à caboter le long de la côte.
Des dauphins, des raies mantas, une nature préservée, ça et là quelques villages de pêcheurs totalement enclavés et ravitaillés par bateaux, tout cela à l’ombre d’une toile de tente tendue sur le pont de notre « dhow » en bois.
Retour express à Dubaï et route vers Oman (la grande partie).
De jour, le passage de douane est moins rapide et cette fois il nous faut nous acquitter d’une assurance temporaire pour pouvoir pénétrer dans le pays.
Le paysage est là encore sublime : une montagne, pelée, à la roche noire et verdâtre, parsemée de quelques acacias.
En quelques kilomètres nous arrivons sur la mer et bivouaquons les pieds dans l’eau au milieu des dunes. Notre sommeil est quelque peu troublé par le bruit des barques à moteur qui rentrent de la pêche, mais c’est là bien un détail. La voie lactée est exceptionnelle et je me rends compte que le croissant de lune est très nettement penché par rapport à ce que nous avons l’habitude de voir sous nos latitudes. C’est idiot mais je ne m’étais jamais posé la question : « comment les autres voient-ils la lune ? ».
Nous longeons la côte très vite et nous filons vers les Wahiba Sands, un énorme désert qui recouvre tout le centre-est d’Oman. Nous demandons le chemin du désert, bien décidés à s’y lancer par nous-mêmes. Des autochtones nous guident et nous rassurent quant à la possibilité de s’enfoncer dans le désert avec le fourgon et la caravane. Résultat : à peine le dernier village passé, nous nous enlisons mollement sous le cagnard.
Me viennent alors en tête les paroles d’une chanson de Patrick Capdevielle que je croyais enfouie à tout jamais dans ma mémoire. « Planté dans le désert, depuis trop longtemps… » sera désormais le gimmick de notre séjour à Oman avec les filles qui ne connaissent pas mais adorent.
Je dégonfle les pneus, on se fait tirer et nous rebroussons chemin l’air con.
Nous déjeunons dans une auberge où paraît-il nous pourrons trouver des excursions dans le désert. Vue notre expérience du matin, ce mode de voyage nous semble adapté. A table nous rencontrons Abdullah qui est le chef d’un camp quelques 15 km plus loin dans les dunes.
Nous lui expliquons notre périple autour du monde et il nous invite à venir le rejoindre là bas pour la soirée et la journée suivante (mais sans la caravane cette fois).
Nous suivons ses indications à la lettre mais à quelques centaines de mètres du camp, là où le sable devient de plus en plus mou, je me ré-enfonce lamentablement dans le sol.
Abdullah vient à notre rescousse, m’invite gentiment à lui céder le volant et, sous mes yeux écarquillés, sort le camion des ornières en deux trois manœuvres astucieuses et l’amène là où j’aurais du arriver. Ma première leçon de conduite dans les dunes venait de s’achever.
Nous passons les deux jours suivants dans le camp à l’ombre des feuilles de palmes. La nuit nous dormons à l’orée du camp.
C’est un programme pour touriste mais le business est soft et fait intelligemment. Isa et les filles se font tatouer les mains au henné, les petites se gavent de tour de chameaux et le soir on boit des bières en écoutant la musique des bédouins. Le civet de chameau est un peu dur à digérer mais la fatigue aidant, on s’endort sans mal.
Après le désert nous faisons route dans un Wadi (jardin naturel dans le lit des rivières) sorte d’oasis au milieu des rochers lunaires.
Nous nous baignons dans des piscines naturelles se déversant dans une cascade. Quelques roches sont taguées, dommage…
C’est beau mais un peu en voie de bétonnement à notre goût.
Cependant, derrière l’épaisse couche de palmiers au fond de la vallée, nous découvrons un village préservé, avec ses ruelles sinueuses, ses quatre mosquées, ses enfants qui errent, ses chèvres en liberté. Malgré l’attrait du Wadi, on ne décèle aucune trace de modernité dans cet ensemble de maisons quelque peu oublié des touristes. Enfin une image rassurante.
Les vélos des filles feront la joie des enfants du village qui se les échangeront au gré des gamelles qu’ils prennent à tour de rôle.
Toujours vers le sud, nous arrivons cette fois à Raz-al Jinz pour observer les tortues de mer qui, paraît-il, viennent pondre la nuit venue.
Derrière un énorme centre scientifique – musée encore en construction, se cache un camp où les visiteurs peuvent dormir le soir de leur rencontre avec les tortues géantes.
De jour, la plage ressemble à toutes les autres plages si ce n’est qu’elle est truffée de trous d’un mètre cinquante de diamètre d’où partent ce qui semble être des traces de 4x4.
A 17 heures la plage est fermée aux visiteurs.
Vers 21 heures, un guide sonne le rassemblement et briefe le public sur les mystères de ces tortues qui viennent pondre inéluctablement sur la plage où elles sont nées après avoir fait le tour du monde.
Ce soir-là nous verrons plusieurs tortues creuser, pondre, reboucher, creuser encore et repartir dans la plus grande des lenteurs vers la mer. Le spectacle est très émouvant.
Le lendemain réveil à 5 heures pour voir éclore les derniers œufs et sortir les bébés tortues dans leur course effrénée vers l’océan.
Les visiteurs sont intelligemment mis à contribution car ils ont pour mission de ramasser les petits qui risqueraient d’être mangés par la kyrielle de mouettes qui tournoient au dessus de la plage. Ils seront ensuite remis aux flots la nuit tombée. C’est assez astucieux comme concept : du tourisme scientifique participatif qui permet, en plus, aux gardes du littoral de faire la grasse matinée.
Les filles sont toutes fières de ramener 3 petits aux gardes mal réveillés qui les remercient d’un « choukran » assez mou.
Nous laissons les tortues à leur ponte et repartons vers Muscat, la capitale que nous avions contournée lors de notre descente vers le sud. Les dernières dizaines de kilomètres menant à Muscat par la route principale sont plantées de pétunias, de gazon verdoyant et de haies taillées qui contrastent avec l’aridité du pays. C’est une constante dans les pays du Golfe de montrer que l’eau afflue en terre désertique. Mais, la mégalomanie mise à part, c’est une manière époustouflante d’agir sur le paysage (et par voie de conséquence sur le climat).
La ville est très étendue mais l’urbanisme reste homogène et concerté. Contrairement aux émirats, les bâtiments sont de hauteur modeste et les façades sont immanquablement blanches ou couleur sable.
Les portraits du sultan sont nombreux mais le résultat n’a rien à voir avec celui du culte stalinien.
Les grandes villes sont généralement des étapes difficiles pour nous, tant les bivouacs et les déplacements y sont compliqués. Comme toutes les villes des Emirats jusque là, Muscat sera simple à vivre.
Le premier soir nous dormons au pied de l’Intercontinental, garés au milieu des Porsche et autres voitures de luxe sans que personne ne vienne nous en déloger. C’est d’ailleurs une des grandes surprises des pays du Golfe : ce sont des pays riches, et les véhicules comme les nôtres ainsi que le camping sont inexistants; pour autant, personne, ni même la police, ne viendra nous questionner ou encore nous demander de partir.
Le lendemain nous rencontrons par hasard dans un café, Chuck, jeune américain que nous avions croisé dans le désert quelques jours plus tôt.
5 minutes après nous étions invités chez ses parents, Steve et Francy, dans le compound des expatriés du pétrole à Qurm.
Nous y séjournerons pendant plusieurs jours le temps de découvrir la ville et ses environs.
Là encore les gens ne sont que gentillesse. Un irlandais voyant les inscriptions françaises sur le camion vient m’offrir une bouteille de Beaujolais. Plus tard c’est la voisine algérienne qui nous couvre de plats plus délicieux les uns que les autres. Au beau milieu d’une résidence surveillée personne ne viendra nous demander quoi que ce soit sur notre présence.
Le dernier jour nous tombons nez à nez avec une procession bizarre. Nous nous arrêtons pour faire quelques photos et sommes happés par la foule qui veut nous inclure dans les festivités.
De retour du souk, je suis habillé en habit traditionnel omanais, les filles également et c’est donc sans mal que nous participons à la fête. On m’invite à danser, les petites passent de main en main et Isa est projetée photographe officielle.
Il s’agit d’un mariage typique ou plus exactement d’une moitié de mariage car nous sommes tombés dans la cérémonie de la famille et des proches du garçon.
Pendant ce temps, à l’autre bout de la ville, la même cérémonie se déroule pour les proches de la future mariée.
Nos hôtes nous demandent de revenir pour la fête nocturne, nous acceptons.
Vers 21 heures nous arrivons dans la ruelle où se tiendra la fête. Tout le voisinage y est convié. Les musiciens tapent sur leurs percussions pendant qu’un joueur de flûte nasillarde fait tournoyer son instrument dans les oreilles des convives.
Tout à coup, un omanais affublé d’un kilt écossais fend la foule et souffle dans sa cornemuse.
L’ambiance est surréaliste, il sautille, tournoie pendant des heures, son sac d’air coincé sous le bras.
Au milieu des chants que je ne comprends pas, je surprends un « frère Jacques » version omanaise complètement délirant.
Pendant que les hommes jouent de la musique et dansent, les femmes, un peu en retrait, les regardent en souriant.
Elles ont mis leur plus bel apparat. Des costumes scintillants de couleurs vives et des maquillages outranciers comme j’ai rarement vu. Elles sont horribles.
Eve dort dans le camion, pendant que les petites continuent à poser avec les femmes dont certaines leur font peur. Pendant ce temps, Isa mitraille à tout va.
Vers 1 heure du matin, nous quittons la ruelle pour nous rendre chez les parents de la mariée, endroit où les nouveaux époux se retrouvent avant d’aller entamer leur nuit de noce sous les hourras de la foule.
Le lendemain, c’est à regret que nous quittons le sultanat d’Oman car nous avons encore tellement de choses à y faire. Nous devons rejoindre Dubaï où nous attendent nos amis venus de France pour une semaine. Ce pays, qui n’était pas sur notre itinéraire initial, aura été une vraie révélation. C’est un mélange de culture arabe et africaine sur une terre préservée dont le développement se fait de manière censée. Les gens sont emprunts d’une joie de vivre et d’une ouverture vers l’autre des plus positives.
L’unique difficulté dans ce pays aura été le ravitaillement en eau pour le camion.
Ce n’est pas grave on se douchera aux Emirats…
Greg
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